Méprise bien la raison et la science …

Les cri­tiques de la psy­cha­na­lyse ne sont assu­ré­ment pas nou­velles. Et étant don­né la durée de leur récur­rence, elles ne sont plus par­ti­cu­liè­re­ment ori­gi­nales non plus. Il faut avouer que les défenses de la psy­cha­na­lyse ne le sont pas davantage. 

Pour­tant, il y a, depuis quelques années, un élé­ment nou­veau dans ce débat deve­nu rébar­ba­tif : le recours aux légis­la­tions et par-là, le recours au champ du pouvoir. 

Depuis quelque temps donc, le débat autour de la psy­cha­na­lyse a été cap­tu­ré par la lutte poli­tique de la pro­fes­sion­na­li­sa­tion des psy­cho­thé­ra­pies. Dans ce nou­veau cadre, le débat ne recourt plus aux dis­cus­sions scien­ti­fiques habi­tuelles, si ce n’est qu’à titre de prétexte.

Le dépla­ce­ment du scien­ti­fique vers le poli­tique, comme voie d’accès au juri­dique, répond à une stra­té­gie de pou­voir évi­dente : rien de plus effi­cace, pour éli­mi­ner une concur­rence qui semble résis­ter à toutes les attaques, que de la faire inter­dire par la loi. À cet effet, on assiste aujourd’hui à une sur­en­chère qui a fait pas­ser la dénon­cia­tion de la non-scien­ti­fi­ci­té à l’affirmation de la noci­vi­té, et même de la dan­ge­ro­si­té de la psychanalyse.

C’est comme si, se ren­dant compte qu’il n’était pas légi­time d’interdire une pra­tique par un simple manque de scien­ti­fi­ci­té ou d’efficience, il fal­lait la faire por­ter atteinte à la san­té et à la sécu­ri­té des per­sonnes, pour pou­voir l’interdire. Dans la fou­lée, les accu­sa­tions sont donc pas­sées de la théo­rie et de la pra­tique non-scien­ti­fiques et inef­fi­caces au constat du délit. Dans la même logique, on a pu faire pas­ser le psy­cha­na­lyste du char­la­tan banal au cri­mi­nel mani­pu­la­teur dangereux.

La médi­ca­li­sa­tion et la patho­lo­gi­sa­tion sys­té­ma­tiques des dif­fi­cul­tés psy­cho­lo­giques et com­por­te­men­taux, tra­duites sans restes en « troubles » ou « mala­dies men­tales », rajoute sa part de cré­di­bi­li­té à ce dépla­ce­ment. Que pen­ser d’une pra­tique qui s’apprêterait à aider une per­sonne « malade », sans dis­po­ser des preuves scien­ti­fiques suf­fi­santes de son suc­cès ? Ce serait une irres­pon­sa­bi­li­té au moins, un abus au pire. Mais dans tous les cas, ce serait un acte méri­tant inter­dic­tion et châtiment. 

On croi­rait presque que les réponses offi­cielles de la plu­part des psy­cha­na­lystes, même les plus répu­tés, peinent tou­jours à prendre la mesure de ce nou­veau type d’accusation qui ne passe plus tant par des argu­men­taires, que par des tech­niques d’influence et de mani­pu­la­tions poli­tiques ; soit par une démarche autre­ment plus concrète et plus ‚réa­liste’ que les débats aca­dé­miques sur le sta­tut épis­té­mo­lo­gique de telle ou telle discipline. 

Les réponses des psy­cha­na­lystes tentent, en géné­ral, de prendre le contre-pied des accu­sa­tions, soit par des reven­di­ca­tions morales ou ‘huma­nistes’, soit par des affir­ma­tions réité­rées de la scien­ti­fi­ci­té de la psychanalyse. 

Dans le pre­mier cas, elles en appellent à une éthique confuse et jamais clai­re­ment for­mu­lée de quelque valeur humaine inat­ta­quable, ou de la supé­rio­ri­té morale aprio­rique d’une sup­po­sée sub­jec­ti­vi­té ori­gi­nelle et non-ins­tru­men­ta­li­sée par des tech­niques de normalisation. 

Dans le second cas, on se réfère (dans le meilleur des cas) à quelques clas­siques popu­laires de l’histoire de l’épistémologie et de la phi­lo­so­phie des sciences, dans l’intention de mon­trer qu’en cor­res­pon­dant à quelques cri­tères géné­raux, sou­vent sim­pli­fiés et mal com­pris, la psy­cha­na­lyse cor­res­pond par­fai­te­ment aux canons de la scientificité. 

Sans entrer dans la ques­tion de savoir si la psy­cha­na­lyse devrait ou non être une science, et quels seraient les avan­tages ou désa­van­tages d’être une science ou non dans le cas de la démarche psy­cha­na­ly­tique, il est vrai que Freud récla­mait tou­jours, à tort ou à rai­son, le carac­tère scien­ti­fique de son invention. 

Évi­dem­ment, même du vivant de Freud, ce sta­tut scien­ti­fique a rapi­de­ment été contes­té et la ques­tion est bien plus loin d’être réso­lue aujourd’hui que n’aiment l’affirmer les détrac­teurs et les défen­seurs de la psychanalyse. 

On se sou­vien­dra de la réac­tion du fameux Richard Fri­do­lin Joseph Frei­herr Krafft von Fes­ten­berg (R. v. Krafft-Ebbing) – le psy­chiatre et neu­ro­logue vien­nois, auteur du fameux Psy­cho­pa­thia Sexua­lis qui a connu 12 édi­tions du vivant de son auteur) – dési­gnant les réflexions freu­diennes sur l’é­tio­lo­gie de l’hys­té­rie de « wis­sen­schaft­liches Mär­chen » dès 1896, suite à une confé­rence de Freud au Wie­ner Verein für Psy­chia­trie.

Curieu­se­ment, les néo-posi­ti­vistes de l’é­cole de Vienne, les plus ‘durs’ défen­seurs d’une « science uni­taire », ne voyaient pas la psy­cha­na­lyse d’un œil cri­tique. Au contraire, ils pen­saient que la démarche freu­dienne appor­tait la lumière de la rai­son aux phé­no­mènes irra­tion­nels jusque-là inac­ces­sibles à la science. 

Rudolf Car­nap lui-même était en ana­lyse pen­dant plus d’une décen­nie. Et le pre­mier cri­tique, proche du cercle de Vienne, à remettre en ques­tion la scien­ti­fi­ci­té de la psy­cha­na­lyse était un cer­tain Witt­gen­stein, dont la sœur était en ana­lyse avec Sigmund. 

En même temps, si Witt­gen­stein pen­sait que Freud n’é­tait pas scien­ti­fique, il décla­rait aus­si qu’il figu­rait par­mi les seuls auteurs qui valaient la peine d’être lus. À l’âge d’or du posi­ti­visme, on ne pen­sait pas encore que seules les sciences natu­relles méri­taient le détour d’une lec­ture, sans même par­ler du droit de cité. 

Mais le détour par l’histoire un peu plus com­plexe du fameux pro­blème de démar­ca­tion qui, même en épis­té­mo­lo­gie est loin d’avoir abou­ti, ou d’avoir même sim­ple­ment mené à un quel­conque consen­sus paci­fié, est régu­liè­re­ment court-cir­cui­té par l’appel à une forme vul­ga­ri­sée du cri­tère de fal­si­fia­bi­li­té attri­bué à Pop­per. Iro­ni­que­ment, c’est plu­tôt le contraire qui est vrai. 1

Le chan­ge­ment radi­cal auquel Pop­per sou­met­tait le cri­tère de scien­ti­fi­ci­té semble, même aujourd’­hui, sou­vent échap­per à ceux qui s’empressent de le citer comme réfé­rence de leur idée de la scien­ti­fi­ci­té. Un énon­cé, une hypo­thèse ou une théo­rie scien­ti­fiques ne sont pas et ne peuvent pas être « vrais » au sens fort, pour Pop­per. Pour être scien­ti­fiques, ils doivent, tout à fait au contraire, pou­voir être prou­vés « faux ».

Autre­ment dit : d’après Pop­per, un énon­cé ou une théo­rie scien­ti­fiques peuvent être tem­po­rai­re­ment cor­ro­bo­rées, c’est-à-dire avoir « résis­té à des tests sévères et a ain­si fait leurs preuves » pro­vi­soires. Mais elles ne sont jamais « véri­fiées » et attes­tées conformes à une quel­conque véri­té immuable. Pour­tant, ce qui les rend ‘scien­ti­fiques’, ce n’est pas cette cor­ro­bo­ra­tion, mais la pos­si­bi­li­té de pou­voir être réfu­tées, soit de pou­voir être confron­tées à des contre-exemples ; la pos­si­bi­li­té de pou­voir être fausses.

Il va de soi que ce type de réfu­ta­tion ne repose pas sim­ple­ment et seule­ment sur l’ob­ser­va­tion empi­rique. Pop­per a été un cri­tique tout aus­si vigou­reux des ‘énon­cés empi­riques’ simples des posi­ti­vistes (les fameux « Pro­to­kollsätze » de Schlick, Neu­rath et Car­nap), en mon­trant dans quelle mesure, le moindre constat empi­rique est « theo­ry-laden », c’est-à-dire char­gé de théo­rie. Exit donc la fameuse induc­tion empi­rique comme cri­tère de scientificité.

Si la ques­tion du cri­tère de démar­ca­tion – c’est-à-dire la ques­tion de dis­tinc­tion entre science et pseu­do-science ou non-science – a débu­té avec Pop­per, elle ne s’est évi­dem­ment pas arrê­tée avec lui. Mais dans le débat pseu­do-infor­mé sur la scien­ti­fi­ci­té de la psy­cha­na­lyse, on n’aura jamais vu pas­ser des pen­seurs comme Laka­tos, comme Feye­ra­bend, comme Kuhn, comme Tha­gard, Gly­mour, Agas­si, Mah­ner ou Dupré. 

Au pas­sage, il fau­dra cer­tai­ne­ment men­tion­ner le fameux col­loque orga­ni­sé par le phi­lo­sophe Syd­ney Hook à New York en mars 19582, où l’on trouve une col­lec­tion d’exposés dont le conte­nu et le niveau d’argumentation compte par­mi ce qui s’est publié de mieux et de plus carac­té­ris­tique en termes de cri­tique scien­ti­fique de la psy­cha­na­lyse. Le col­loque part du débat entre Heinz Hart­mann, qui défend une posi­tion très freu­dienne quant à la scien­ti­fi­ci­té de la psy­cha­na­lyse, sui­vi par la cri­tique radi­cale de Ernest Nagel, qui met plus ou moins défi­ni­ti­ve­ment à mal la pos­si­bi­li­té d’une science psy­cha­na­ly­tique mesu­rée à l’aune du posi­ti­visme.3

Mais même la cri­tique de Nagel a pu être dépas­sé par le posi­ti­visme tar­dif d’un Carl-Gus­tav Hem­pel, déve­lop­pant des modèles d’explication propres et spé­ci­fiques aux sciences humaines, ou dans le même cou­rant, par les refor­mu­la­tions de l’herméneutique par Wolf­gang Stegmül­ler en Allemagne. 

Curieu­se­ment, cer­tains défen­seurs de la psy­cha­na­lyse semblent aujourd’hui affir­mer, sans autre détour par Pop­per ou par l’histoire de l’épistémologie4, que les théo­ries freu­diennes satis­font le « cri­tère de démar­ca­tion », c’est-à-dire celui de la fal­si­fia­bi­li­té, que Pop­per avait éta­bli contre le véri­fi­ca­tion­nisme posi­ti­viste. Il est amu­sant de rap­pe­ler dans ce contexte que Pop­per lui-même for­mu­lait en effet sa concep­tion de la scien­ti­fi­ci­té à par­tir de et contre (!) la psy­cha­na­lyse et le marxisme.

Il est vrai que dans les années soixante, Pop­per lui-même est briè­ve­ment reve­nu sur ses pro­pos : il lui est appa­ru, tar­di­ve­ment, que sous cer­taines condi­tions, les affir­ma­tions freu­diennes étaient de fait sus­cep­tibles de fal­si­fia­bi­li­té. Un revi­re­ment n’est pas si dif­fi­cile à com­prendre : si une affir­ma­tion est accom­pa­gnée de cri­tères de fal­si­fi­ca­tion repro­duc­tibles (sous quelles condi­tions il est pos­sible de prou­ver la faus­se­té de l’énoncé), elle suf­fit au cri­tère de démar­ca­tion et vaut donc comme scientifique. 

Cette preuve fut ensuite menée de manière bien plus expli­cite et convain­cante par l’un des cri­tiques les plus viru­lents de Pop­per, et en même temps, par l’un des cri­tiques les assi­dus de la scien­ti­fi­ci­té de la psy­cha­na­lyse – il a pas­sé une bonne part de la vie à recher­cher sur ce sujet – Adolf Grün­baum.5 Iro­ni­que­ment (encore), Grün­baum a démon­tré la « fal­si­fia­bi­li­té » de la psy­cha­na­lyse pour argu­men­ter contre le « cri­tère de démar­ca­tion » poppérien. 

Le fait donc que la psy­cha­na­lyse rem­plisse les cri­tères de scien­ti­fi­ci­té éta­blis par Pop­per, fait par­tie de la démons­tra­tion de l’insuffisance de ces cri­tères. Dans ce sens, la scien­ti­fi­ci­té de la psy­cha­na­lyse repré­sente sim­ple­ment une preuve de la faus­se­té du « cri­tère de démar­ca­tion ».6 Ce qui ne cor­res­pond évi­dem­ment ni à une condam­na­tion, ni sur­tout à un réta­blis­se­ment de la scien­ti­fi­ci­té de la psychanalyse. 

Bref, ce que Grün­baum tente de mon­trer, c’est que la psy­cha­na­lyse n’est ni une dis­ci­pline sim­ple­ment non-scien­ti­fique, ni même un pseu­do-science (non-science avec inten­tion de trom­per), mais ‘sim­ple­ment’ une « mau­vaise science ».7 Frank Ciof­fi abou­tit à une conclu­sion simi­laire avec ses ana­lyses des cas cli­niques de Freud.

Grün­baum a eu un impact pro­fond sur la psy­cha­na­lyse anglo-saxonne – du moins sur celles et ceux par­mi les psy­cha­na­lystes qui ne le reje­taient pas sim­ple­ment. Et de même qu’on a vu naître une divi­sion de pen­seurs s’occupant de démon­trer la non-scien­ti­fi­ci­té de la psy­cha­na­lyse, il y a eu une bri­gade d’analystes s’efforçant de répondre à Grün­baum, soit en remet­tant en ques­tion ses cri­tères d’évaluation, soit en refor­mu­lant la psy­cha­na­lyse d’une manière qui y conviendrait. 

Il existe une bonne dou­zaine de col­loques inter­na­tio­naux autour des seules cri­tiques et réponses aux cri­tiques de Grün­baum, et un nombre de publi­ca­tions impres­sion­nant qui répondent à la cri­tique de Grünbaum. 

En paral­lèle, mais aus­si en réac­tion à ce débat, il y a eu bon nombre de ten­ta­tives de refor­mu­ler la théo­rique et la pra­tique psy­cha­na­ly­tiques selon les lignes d’une her­mé­neu­tique, c’est-à-dire dans la pers­pec­tive de l’interprétation et de la com­pré­hen­sion de sens, plu­tôt que dans celle de l’établissement de lois natu­relles et de cau­sa­li­tés objec­tives déterminantes. 

Sans m’attarder sur cette dis­tinc­tion – sciences nomo­thé­tiques v. sciences idio­gra­phiques (Win­del­band, Rickert et ce qu’on a dési­gné d’école néo-kan­tienne de l’Allemagne du Sud-Ouest) – qui elle-même a subie de sérieuses cri­tiques (en par­tant de Max Weber et allant jus­qu’à Wolf­gang Stegmül­ler, qu’on accu­se­ra dif­fi­ci­le­ment de ne pas s’y connaître en sciences), on constate, sur ce point, dans quelle mesure la ques­tion de la scien­ti­fi­ci­té touche en même temps à des ques­tions d’éthique et même de cri­tique sociale. 

Que pen­ser d’une approche qui aborde les phé­no­mènes psy­chiques, qui aborde la per­sonne humaine sous l’angle du contrôle de pro­ces­sus objectivés ? 

Les réponses à cette ques­tion – elles aus­si for­mu­lées contre le scien­tisme de Freud – ne se sont pas faites attendre, et on les trouve dès les années 30 dans les écrits de Max Hor­khei­mer et de Erich Fromm, plus tard, à par­tir des années 40 chez Ador­no, et dès les années 50 chez Mar­cuse. Le plus radi­cal étant, comme tou­jours, Ador­no qui assi­mile, non sans rai­sons his­to­rique (cf. la psy­cha­na­lyse à l’Ins­ti­tut Göring), la psy­cha­na­lyse scien­ti­fique à ce même geste de déshu­ma­ni­sa­tion qui carac­té­rise les camps.8

À lire les prises de posi­tion offi­cielles des psy­cha­na­lystes fran­çais, on pen­se­rait presque que la majeure par­tie de ces débats épis­té­mo­lo­giques, socio­lo­giques, et même psy­cha­na­ly­tiques sont res­tés étran­gers à la dis­cus­sion sur la psychanalyse.

S’il est vrai que la ques­tion de la scien­ti­fi­ci­té, d’une part dépend de la défi­ni­tion qu’on vou­dra bien en for­mu­ler et d’autre part dépasse aisé­ment le cadre pure­ment épis­té­mo­lo­gique pour tou­cher aux ques­tions de l’usage social et humain d’une science réduite à des pro­cé­dés tech­niques, les quelques rap­pels de débats pas­sés et les appels aux bons-sen­ti­ments et à la supé­rio­ri­té morale ne s’avèrent pas plus convain­cants que les cita­tions sélec­tives des pires bêtises octroyées par cer­tains analystes. 

Il serait inté­res­sant aus­si de rap­pe­ler, dans ce débat qui élève une scien­ti­fi­ci­té mal ou peu défi­nie au sta­tut de cri­tère abso­lu et indis­cu­table de la qua­li­té d’une théo­rie ou d’une pra­tique, que la dis­cus­sion autour du « cri­tère de démar­ca­tion », qui devrait per­mettre de dis­tin­guer les sciences des pseu­do-sciences, n’a pas abou­ti jusqu’à ce jour. Loin d’être une réfé­rence uni­ver­sel­le­ment recon­nue dans le champ des spé­cia­listes, le pro­blème de la démar­ca­tion paraît aujourd’hui plu­tôt inso­luble.9 Peu de pen­seurs sou­tiennent aujourd’hui la pos­si­bi­li­té d’une dis­tinc­tion nette, néces­saire et suf­fi­sante, basée sur un seul cri­tère ou sur un fais­ceau de cri­tères entre science et non-science. Le pro­blème se situant déjà du côté de la science elle-même qui, contrai­re­ment aux espoirs des pre­miers posi­ti­vistes, n’a plus rien d’unitaire ou d’homogène.10

À ce pro­pos, John Dupré écrit, dans son The Disor­der of Things :

Science, construed sim­ply as the set of know­ledge-clai­ming prac­tices that are accor­ded that title, is a mixed bag. The role of theo­ry, evi­dence, and ins­ti­tu­tio­nal norms will vary great­ly from one area of science to the next. My sug­ges­tion that science should be seen as a fami­ly resem­blance concept seems to imply not mere­ly that no strong ver­sion of scien­ti­fic uni­ty of the kind advo­ca­ted by clas­si­cal reduc­tio­nists can be sus­tai­ned, but that there can be no pos­sible ans­wer to the demar­ca­tion pro­blem.11

Si l’on tente de tirer le débat poli­tique à nou­veau vers une dis­cus­sion aca­dé­mique qui ne se satis­fasse pas de quelques théo­rèmes réchauf­fés de restes de théo­ries mal digé­rées, ou mal com­prises, il serait cer­tai­ne­ment inté­res­sant de l’accompagner aus­si du tra­vail de lec­ture et de réflexion sans les­quels, même les meilleurs sen­ti­ments en res­tent à cet avis per­son­nel, auquel tout le monde a un droit consti­tu­tion­nel, mais qui ne contri­bue en rien aux pro­blèmes à résoudre.

Notes :

  1. À titre d’information, on trou­ve­ra une biblio­gra­phie plus com­plète de la dis­cus­sion sur le « cri­tère de démar­ca­tion » à l’adresse sui­vante : https://​phil​pa​pers​.org/​s​e​p​/​p​s​e​u​d​o​-​s​c​i​e​n​ce/
  2. Hook, S. (Éd.). (1960). Psy­cho­ana­ly­sis, Scien­ti­fic Method, And Phi­lo­so­phy : A Sym­po­sium. NY.
  3. Voir Nagel, E. (1960) « Psy­cho­ana­ly­sis As a Scien­ti­fic Theo­ry ». Psychoa­na­ly­sis, Scien­ti­fic Method, and Phi­lo­so­phy, ed., Sid­ney Hook, p. 38 – 55.
  4. Voir la tri­bune – « La psy­cha­na­lyse est une science à part entière » – dans le Nou­vel Obser­va­teur, où quelques som­mi­tés pro­clament, sans la moindre hési­ta­tion, et dans une confu­sion pour le moins cocasse, que la « psy­cha­na­lyse est donc une science à part entière. Elle n’a ces­sé de s’améliorer en fonc­tion de ses résul­tats, selon les exi­gences rigou­reuses de Karl Pop­per. » (Voir https://​www​.nou​ve​lobs​.com/​j​u​s​t​i​c​e​/​2​0​1​9​1​0​2​8​.​O​B​S​2​0​3​8​5​/​t​r​i​b​u​n​e​-​l​a​-​p​s​y​c​h​a​n​a​l​y​s​e​-​e​s​t​-​u​n​e​-​s​c​i​e​n​c​e​-​a​-​p​a​r​t​-​e​n​t​i​e​r​e​.​h​tml)
  5. Dans le contexte des cri­tiques les mieux argu­men­tées de la scien­ti­fi­ci­té de la psy­cha­na­lyse, il fau­dra éga­le­ment men­tion­ner le fameux ouvrage du logi­cien anglais Frak Ciof­fi : Ciof­fi, F. (1998). Freud and the Ques­tion of Pseu­dos­cience. Open Court Publi­shing.
  6. Cf. Grün­baum, A. (1977). Is Psy­cho­ana­ly­sis a Pseu­do-Science ? Karl Pop­per ver­sus Sig­mund Freud. Zeit­schrift für phi­lo­so­phische For­schung, 31(3), 333‑353 ; et Grün­baum, A. (2009). Popper’s Fun­da­men­tal Mis­diag­no­sis of the Scien­ti­fic Defects of Freu­dian Psy­cho­ana­ly­sis. In Z. Parus­ni­ková & R. S. Cohen (Éd.), Rethin­king Pop­per (p. 117‑134).
  7. Pour le résu­mé de son ouvrage majeur, voir : Grün­baum, A. (1986). Pré­cis of The Foun­da­tions of Psy­cho­ana­ly­sis : A Phi­lo­so­phi­cal Cri­tique. Beha­vio­ral and Brain Sciences, 9(2), 217‑228
  8. Voir Lockot, R. (2013). Die Rei­ni­gung der Psy­cho­ana­lyse : Die Deutsche Psy­cho­ana­ly­tische Gesell­schaft im Spie­gel von Doku­men­ten und Zeit­zeu­gen. Gießen, Lahn : Psy­cho­so­zial-Ver­lag.
  9. Voir Hans­son, Sven Ove, « Science and Pseu­do-Science », The Stan­ford Ency­clo­pe­dia of Phi­lo­so­phy (Sum­mer 2017 Edi­tion), Edward N. Zal­ta (ed.), URL = <https://​pla​to​.stan​ford​.edu/​a​r​c​h​i​v​e​s​/​s​u​m​2​0​1​7​/​e​n​t​r​i​e​s​/​p​s​e​u​d​o​-​s​c​i​e​n​ce/>.
  10. Voir Dupré, John. (1993). The Disor­der of Things : Meta­phy­si­cal Foun­da­tions of the Disu­ni­ty of Science. Har­vard : Har­vard Uni­ver­si­ty Press.
  11. Op. cit. p.242.