« Il ne devrait pas y avoir de retour en arrière. »
(Jessica Oé, Editorial Tageblatt du 25 mai 2021 : Lehren der Corona-Pandemie : Ein Zurück zu vorher sollte es nicht geben)
Si l’avenir est notoirement difficile à prédire, le passé récent permet toutefois de déceler un certain nombre de gestes politiques similaires :
- Au départ, il fallait s’enfermer à la maison pendant trois mois, sortir aussi peu que possible, ne rencontrer personne, se limiter aux seuls achats dits « essentiels ». Après cette assignation à domicile, nous devions avoir le droit de sortir à nouveau et de vivre normalement.
- Mais les choses n’étaient pas si simples : pour sortir du confinement, il fallait tout de même garder les masques, se désinfecter les mains, se limiter à l’essentiel, voir un minimum de personnes, garder ses distances et se faire tester le plus régulièrement possible, avec ou sans symptômes. Le conte était alors que quelques mois de masques, de gels hydroalcooliques, de tests et de distanciations allaient nous « rendre » les droits fondamentaux constitutionnels. Il était clair à ce moment que même par-delà l’état de crise constitutionnel, les mesures sanitaires allaient continuer de porter atteinte aux droits et libertés fondamentaux. Pérennisation de l’état d’exception énergiquement déniée par une nouvelle morale supposée de la responsabilité.
- Après les masques, les gels, les règles de distanciation, les fermetures et le travail à domicile, restés plus ou moins sans effet dans l’ensemble, la solution devait venir de la vaccination. Si l’ensemble de la population se faisait vacciner, disait-on, les libertés et droits fondamentaux allaient « revenir », comme si la constitution ou la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne étaient de fait, et sans autre procédure juridique, indéfiniment suspendues (voir L’empire de l’arbitraire) et soumises à l’évaluation de la situation sanitaire.
- Aujourd’hui nous savons que les choses ne s’arrêtent pas là : il ne suffit pas de porter un masque, d’utiliser des gels, de réduire ses contacts, de garder ses distances, de travailler à la maison, d’être vacciné ou de s’être remis d’une infection. Car il faut toujours et en même temps se faire tester plusieurs fois par semaine, selon les institutions, entreprises ou professions, se faire tester à chaque entrée de chaque restaurant, de chaque café et bientôt, sans doute, de chaque commerce, essentiel ou non, indépendamment de son état de santé ou de sa situation vaccinale.
La ligne directrice des mesures supposément « sanitaires » est clairement cumulative : aucune nouvelle mesure, aucun nouveau masque, test ou vaccin qui se substitue ou rende caduque une mesure précédente ou concurrente. De fait, toutes les règles, toutes les mesures, tous les interdits se complémentent de manière de plus en plus essentielle et s’additionnent en un conglomérat administratif de plus en plus confus et absurde.
Contrairement à la narration officielle, aucune des mesures, aucun des interdits, aucune des obligations sanitaires n’a, jusqu’à présent, restitué les libertés et droits fondamentaux. Au contraire : avec chaque mesure, avec chaque obligation, ces libertés et droits restent tout aussi conditionnels qu’au moment de leur suspension lors des divers états d’exception.
C’est ce qu’a très bien compris l’éditorialiste du Tageblatt quand elle subordonne les libertés et droits fondamentaux de l’homme à un soi-disant « respect asiatique » :
Dans certains pays d’Asie, le port du masque faisait partie de la vie quotidienne normale et des interactions respectueuses, même avant la pandémie. Ou bien, à l’avenir, nous pourrions nous passer de nous serrer la main et de nous embrasser pour nous saluer. Vous pouvez également vous saluer différemment – sans transmettre vos bactéries à tout le monde.
(Jessica Oé, loc. cit.)
À partir de là, rien ne s’oppose plus à l’universalisation médiatique d’une nouvelle éthique de la responsabilité germinale :
Bien sûr, les changements imposés par la pandémie ont aussi leurs revers, comme la détérioration de la santé mentale des enfants et des jeunes. […] Mais là où il y a eu des effets positifs, il faut se demander comment intégrer ces leçons de la pandémie dans un nouveau quotidien. Parce que revenir simplement à la vie d’avant Corona – comme si la pandémie n’avait jamais eu lieu – n’est pas une option.
(Jessica Oé, loc. cit)
Bien qu’il n’existe à ce jour aucune preuve scientifique ou même empirique inconstestée de l’efficacité ou de la pertinence de ces mesures, une chose semble sûre d’ores et déjà : aucune loi, aucune mesure liberticide ne restaure la liberté. Bien au contraire : chaque loi, chaque mesure liberticide ne représente qu’une étape de plus dans l’atteinte aux libertés et droits fondamentaux.
Ce faisant, la nouvelle éthique de la responsabilité « asiatique » ne requiert même plus le masque d’une quelconque rationalité ; elle s’impose et s’imposera de manière inconditionnelle et pérenne. Car aussi longtemps que le virus existera sur terre, la pandémie fera la loi et la loi ne sera plus celle de l’État de droit démocratique (voir Olivier Jouanjan, L’État de droit démocratique). Dans ce nouveau régime politique du respect sanitaire, il ne devrait, en effet, plus y avoir de retour en arrière.