La politique du suffisant

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Indus­trial man in the world today is like a bull in a chi­na shop, with the single dif­fe­rence that a bull with half the infor­ma­tion about the pro­per­ties of chi­na as we have about those of eco­sys­tems would pro­ba­bly try and adapt its beha­vior to its envi­ron­ment rather than the reverse.1

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Quand André Gorz publie « L’é­co­lo­gie poli­tique entre exper­to­cra­tie et auto­li­mi­ta­tion » en 19922, il n’en est pas à son pre­mier essai sur l’écologie. Comme le rap­pelle Chris­tophe Gil­liand dans sa pré­face à la nou­velle édi­tion du texte de Gorz, parue en avril 2019, l’article « consti­tue la somme d’un enga­ge­ment intel­lec­tuel cou­rant sur une tren­taine d’années »3. Une invi­ta­tion donc à relire l’article avec toute l’attention que mérite un tra­vail de réflexion de trois décennies. 

André Gorz part de la dis­tinc­tion entre éco­lo­gie scien­ti­fique et éco­lo­gie poli­tique. Et l’écologie poli­tique s’étaye sur une cri­tique de prin­cipe de l’écologie scien­ti­fique. La pers­pec­tive de Gorz peut éton­ner à l’époque où la science et les scien­ti­fiques sont mas­si­ve­ment invo­quées pour don­ner du poids poli­tique à l’écologie. D’une cer­taine manière, Gorz se situe donc aux anti­podes de l’approche des grands mou­ve­ments éco­lo­giques mon­diaux actuels, des « ven­dre­dis pour l’avenir » à la COP25. 

D’après Gorz, le pro­blème de l’écologie scien­ti­fique tient dans le dog­ma­tisme hété­ro­nome scien­tiste qu’elle impose à la poli­tique. Du fait d’empiéter de manière irré­flé­chie sur les déli­bé­ra­tions démo­cra­tiques, l’écologie scien­ti­fique contri­bue à dépo­li­ti­ser cette der­nière au béné­fice d’un savoir auto­ri­taire qui, contrai­re­ment à une idéo­lo­gie reçue, n’a rien de neutre.

Assu­ré­ment, l’écologie scien­ti­fique conçoit les socié­tés humaines dans leurs rap­ports et dans leurs inter­ac­tions avec l’écosystème natu­rel ; un éco­sys­tème qui se carac­té­rise par sa capa­ci­té d’auto-régénération et d’auto-organisation. Aus­si l’écologie scien­ti­fique tient-elle compte du fait que l’industrialisation et les pro­grès tech­no­lo­giques ont ten­dance non seule­ment à ratio­na­li­ser le rap­port à la nature en termes de pro­duc­tion, à la rendre cal­cu­lable et donc pré­vi­sible, mais sur­tout encore à endom­ma­ger les capa­ci­tés d’auto-régénération elles-mêmes. Le pro­blème de l’écologie scien­ti­fique ne tient donc pas sim­ple­ment à son igno­rance des effets de la ratio­na­li­sa­tion scien­ti­fique dans l’exploitation de la nature, mais dans les effets poli­tiques qu’elle conditionne. 

Une poli­tique qui s’étaye sur l’écologie scien­ti­fique, pense Gorz, se tra­duit inva­ria­ble­ment en une approche de la nature et de la pol­lu­tion par voie d’« inter­dic­tions, règle­men­ta­tions admi­nis­tra­tives, taxa­tions, sub­ven­tions et péna­li­tés4 ». Bien que la poli­tique de l’expertocratie éco­lo­gique recon­naît l’existence des limites natu­relles du pro­duc­ti­visme, elle ne fait que rem­pla­cer le « pillage » de la nature par une ges­tion des res­sources limi­tées à long terme. La ges­tion par règle­men­ta­tions et taxa­tions en devient une simple ges­tion par limi­ta­tion des dommages. 

En 1992, quand Gorz rédi­geait sa cri­tique de la poli­tique exper­to­cra­tique de l’écologie, la notion de « déve­lop­pe­ment durable » avait 5 ans. Elle fut lan­cée par la poli­ti­cienne nor­vé­gienne tra­vailliste Gro Har­lem Brundt­land, qui pré­si­dait la Com­mis­sion mon­diale sur l’environnement et le déve­lop­pe­ment de l’ONU. Dans son rap­port – « Notre ave­nir com­mun » – de 1987, Brundt­land écri­vait notam­ment que « le déve­lop­pe­ment durable n’est […] pos­sible que si la démo­gra­phie et la crois­sance évo­luent en har­mo­nie avec le poten­tiel pro­duc­tif de l’écosystème5 ».

Le choix des termes n’est pas sans impor­tance dans ce mani­feste. Car la notion d’harmonie sug­gère d’emblée, sans jamais la ques­tion­ner, la pos­si­bi­li­té de prin­cipe d’un équi­libre entre crois­sance, c’est-à-dire entre le pillage capi­ta­liste de la nature réduite à une res­source natu­relle, et l’auto-régénération d’un éco­sys­tème, réin­ter­pré­té en poten­tiel pro­duc­tif. L’harmonie ici sug­gé­rée est moins réelle que concep­tuelle, puisqu’elle repose sur une concep­tion homo­gé­néi­sée de l’écosystème et de la pro­duc­tion capi­ta­liste, comme rap­port entre res­sources et pro­ces­sus de pro­duc­tion. Ce for­çage de concep­tion, qui repose sur un jeu sub­til de ter­mi­no­lo­gie, paraît plus mani­feste encore dans la défi­ni­tion que Brundt­land donne du déve­lop­pe­ment durable. 

« Le genre humain, écrit l’experte tra­vailliste, a par­fai­te­ment les moyens d’assumer un déve­lop­pe­ment durable […] sans com­pro­mettre la pos­si­bi­li­té pour les géné­ra­tions à venir de satis­faire les leurs. » Assu­ré­ment, ces moyens se heurtent à quelques limites, mais ces limites res­tent pure­ment tech­niques. En effet, c’est « l’état actuel de nos tech­niques et de l’organisation sociale » qui impose ces limites toutes tem­po­raires. Par prin­cipe, l’amélioration des tech­niques et de l’organisation sociale per­mettent donc de recu­ler indé­fi­ni­ment des limites qui n’ont rien d’absolu.

Selon la vision offi­cielle de la Com­mis­sion mon­diale sur l’environnement et le déve­lop­pe­ment de l’ONU, les déve­lop­pe­ments scien­ti­fiques et tech­no­lo­giques, en repous­sant les limites de l’exploitation de la nature, ren­dront l’harmonie pré­sup­po­sée de la bio­sphère et de la pro­duc­tion capi­ta­liste pos­sible. L’harmonie, ain­si va l’histoire, sera donc réa­li­sée dans un ave­nir hypo­thé­tique, à un stade ulté­rieur du déve­lop­pe­ment de la tech­nique et de l’organisation sociale. 

Brundt­land ne semble pas se déran­ger du le fait que ces pro­grès n’ont rien de très har­mo­nieux à l’époque actuelle : « le déve­lop­pe­ment durable n’est pas un état d’équilibre, mais plu­tôt un pro­ces­sus de chan­ge­ment dans lequel l’exploitation des res­sources, le choix des inves­tis­se­ments, l’orientation du déve­lop­pe­ment tech­nique ain­si que le chan­ge­ment ins­ti­tu­tion­nel sont déter­mi­nés en fonc­tion des besoins tant actuels qu’à venir.6 » Et le pro­ces­sus actuel du déve­lop­pe­ment scien­ti­fique sal­va­teur semble encore moins équi­li­bré quand, quelques pages plus loin, Brundt­land avoue qu’une « stra­té­gie sûre et durable de l’énergie est cru­ciale pour un déve­lop­pe­ment durable : mais cette stra­té­gie n’a pas encore été trou­vée »7. La belle alliance entre exploi­ta­tion capi­ta­liste et pré­ser­va­tion de l’écosystème passe ain­si du pré­sup­po­sé à l’« escompte sur le lent avenir ».

Si l’on retranche la fic­tion de cette science, on y décèle sur­tout le prin­cipe éco­no­mique de ce que Gorz nomme la « reli­gion de la crois­sance ». Le rap­port har­mo­nieux entre la bio­sphère, réduite à une simple res­source et la crois­sance éco­no­mique relève moins du fait, voire même de l’hypothèse bien fon­dée, que de la foi dans les forces pro­duc­trices pre­mières que sont deve­nues la science et la tech­no­lo­gie pour le bon fonc­tion­ne­ment du capi­ta­lisme. Autre­ment dit, le déve­lop­pe­ment durable se pose en solu­tion des pro­blèmes qu’il a lui-même contri­bué à créer et qu’il ne ces­se­ra de créer en pré­ten­dant les régler. Dans la belle for­mu­la­tion d’Edgar Morin, reprise par Gorz, « on déve­loppe des tech­no­lo­gies de contrôle qui soignent les effets de ces maux tout en déve­lop­pant les causes.8 »

André Gorz pointe très jus­te­ment que ce type d’écologie, loin de remettre en ques­tion l’industrialisme et son hégé­mo­nie de la rai­son ins­tru­men­tale, en repré­sente sim­ple­ment une appli­ca­tion aveugle à la ques­tion des limites. L’impératif du déve­lop­pe­ment durable tient moins dans la recon­nais­sance des limites, que dans la contrainte de les dépas­ser. L’écologie scien­ti­fique ou l’écologie de la poli­tique exper­to­cra­tique en devient donc une refor­mu­la­tion déma­go­gique de l’idéologie néo­li­bé­rale, rhé­to­ri­que­ment ajus­tée aux cri­tiques de l’écologie.

Contre le règne des experts et contre une poli­tique « scien­ti­fique » qui dans l’écologie ne voit guère plus qu’un nou­vel hori­zon à conqué­rir par la reli­gion de la crois­sance, Gorz rap­pelle les débuts his­to­riques et concep­tuels très dif­fé­rents de l’écologie qu’il tente de défendre. 

Ori­gi­nel­le­ment, le mou­ve­ment éco­lo­gique qu’envisage Gorz, ne part pas de la nature ‘natu­ra­li­sée’ de l’écologie scien­ti­fique et de fait, il ne repose même pas sur une concep­tua­li­sa­tion ou une défense de la nature, tout court. Car, il est né bien avant le pro­blème de la limite des res­sources natu­relles : il est né comme pro­tes­ta­tion de la « colo­ni­sa­tion du monde vécu » (Haber­mas) par le sys­tème économique. 

En pre­mier lieu, la « nature » de l’écologie est donc celle du « milieu natu­rel », c’est-à-dire du « monde vécu » (le Lebens­welt pré­scien­ti­fique des phé­no­mé­no­logues alle­mands recon­cep­tua­li­sée de manière cri­tique par Haber­mas9) de l’environnement social :

La « défense de la nature » doit donc être com­prise ori­gi­nai­re­ment comme défense d’un monde vécu, lequel se défi­nit notam­ment par le fait que le résul­tat des acti­vi­tés cor­res­pond aux inten­tions qui les portent, autre­ment dit que les indi­vi­dus sociaux y voient, com­prennent et maî­trisent l’a­bou­tis­se­ment de leurs actes.10

L’idée semble aus­si sédui­sante qu’étonnante. Le monde que semble esquis­ser Gorz ici res­semble effec­ti­ve­ment à un monde où la dif­fé­ren­cia­tion sociale et la com­plexi­té struc­tu­relle res­semblent à celle des « socié­tés seg­men­taires » pré­mo­dernes de Dur­kheim. Or l’évolution des socié­tés capi­ta­listes, sous l’impact jus­te­ment des pro­grès scien­ti­fiques et tech­no­lo­giques, se carac­té­rise tout à fait au contraire par la dif­fé­ren­cia­tion crois­sante, par la com­plexi­té et par l’anomie sociale correspondante. 

Depuis les tra­vaux ori­gi­naires de Georg Sim­mel sur la dif­fé­ren­cia­tion sociale en 1890, et depuis l’analyse de la divi­sion du tra­vail social par Dur­kheim en 1893, la socio­lo­gie n’a eu de cesse d’examiner les chan­ge­ments et les effets sociaux de la ratio­na­li­sa­tion et de la spé­cia­li­sa­tion des savoirs et des acti­vi­tés de pro­duc­tion sur la cohé­sion sociale et sur la struc­tu­ra­tion des indi­vi­dus. La thèse bien connue du « désen­chan­te­ment du monde », que Max Weber déve­lop­pait en 1917 dans sa confé­rence « Wis­sen­schaft als Beruf », carac­té­ri­sait la moder­ni­té par impo­si­tion paral­lèle de la ratio­na­li­té théo­rique, for­melle et nor­ma­tive, sous le pri­mat de la ratio­na­li­té téléo­lo­gique (Zwe­ckra­tio­na­lität).

Quand Gorz se joint à Haber­mas pour pen­ser que le « sys­tème enva­hit et mar­gi­na­lise le monde du vécu », en pro­vo­quant un état d’anomie sociale, on pour­rait pen­ser qu’il pré­pare un appel au retour vers une socié­té pré­mo­derne, en-deçà de la ‘grande machi­ne­rie’ ; un retour à une socié­té où la divi­sion du tra­vail et la spé­cia­li­sa­tion ne pri­vaient les indi­vi­dus d’une sai­sie cog­ni­tive-sen­so­rielle glo­bale du monde quo­ti­dien, ni de la maî­trise de leurs actes. Mais il n’en est rien : Gorz n’emprunte nulle part la voie réac­tion­naire du retour à la noble sim­pli­ci­té cham­pêtre si carac­té­ris­tique de la pen­sée de Heidegger.

La dis­tinc­tion entre sys­tème et monde vécu (Lebens­welt) consti­tue l’un des piliers de l’analyse haber­mas­sienne de la Théo­rie de l’agir com­mu­ni­ca­tion­nel. Par Lebens­welt, Haber­mas entend cet « hori­zon au sein duquel les acteurs com­mu­ni­ca­tifs évo­luent ‘tou­jours déjà’ » dans le contexte de la vie sociale quo­ti­dienne. Le Lebens­welt consti­tue l’arrière-fond des pro­ces­sus de com­pré­hen­sion, d’organisation et de recon­nais­sance lan­ga­giers, ain­si que des valeurs et des normes géné­ra­le­ment non-réflé­chies et non-thé­ma­ti­sés de la com­mu­ni­ca­tion quo­ti­dienne.11 Les élé­ments struc­tu­rels de ce monde vécu sont, selon Haber­mas la culture, la socié­té et la per­son­na­li­té.12 Le monde vécu se carac­té­rise aus­si du fait que les pro­ces­sus sociaux s’y déve­loppent à par­tir de la pers­pec­tive sub­jec­tive du participant. 

Les sys­tèmes, quant à eux, repré­sentent les sphères sociales de la ratio­na­li­té téléo­lo­gique (Zwe­ck­ver­nunft) plus ou moins auto­nomes, et qui reposent sur l’objectivation des pro­ces­sus sociaux. Dans la Théo­rie de l’agir com­mu­ni­ca­tion­nel, Haber­mas iden­ti­fie deux grands sys­tèmes sociaux : l’économie et le « pou­voir admi­nis­tra­tif », dont les médiums res­pec­tifs sont l’argent et le pou­voir.13

L’empiètement des sys­tèmes sur le monde vécu est ce qui consti­tue, d’après Haber­mas, la « colo­ni­sa­tion » du quo­ti­dien par la ratio­na­li­té ins­tru­men­tale hyper­tro­phiée des sys­tèmes, qui étouffe les rap­ports de com­mu­ni­ca­tion du monde vécu.14 Les effets de la colo­ni­sa­tion sont, sui­vant les trois élé­ments struc­tu­rels du monde vécu, la perte de sens (par rap­port à la culture), l’anomie sociale et les troubles de la per­son­na­li­té ou les psy­cho­pa­tho­lo­gies.15

Si Gorz ne reprend pas le détail de la dif­fé­ren­cia­tion sociale plus fine que Haber­mas déve­loppe dans le pro­lon­ge­ment des « sphères de valeur » de Max Weber16 et des sys­tèmes de Nico­las Luh­man et de Tal­cott Par­sons, il en retient tou­te­fois l’opposition entre le monde vécu d’un côté, et les sys­tèmes de l’économie et d’une poli­tique exper­to­cra­tique, comme variante du champ du pou­voir social, de l’autre côté.17 Et ce que Haber­mas ten­tait de conce­voir à par­tir de l’arrière-fond com­mu­ni­ca­tion­nel nor­ma­tif du monde du vécu, Gorz le conçoit à par­tir d’une éco­lo­gie du « milieu naturel ». 

Ain­si, la concep­tion de l’évolution his­to­rique des socié­tés indus­tria­li­sées de Gorz reste bien plus proche de celle de Marx que de celle de Haber­mas. À l’instar du Marx des manus­crits de 1844, Gorz part d’une anthro­po­lo­gie de l’individu socia­li­sé qua­si ‘natu­relle’ qui sera ensuite alié­née par les inver­sions que lui impose la pro­duc­tion capitaliste.

Selon Gorz, le capi­ta­lisme s’imposait ori­gi­nel­le­ment par plu­sieurs contraintes sociales, visant à abo­lir l’artisanat et à contraindre les tra­vailleurs à des rythmes de pro­duc­tion inces­sants. À cette fin, il fal­lait sup­pri­mer la pos­ses­sion des moyens de pro­duc­tion, limi­ter la rému­né­ra­tion en la reliant aux uni­tés de pro­duc­tion quan­ti­fiées, impo­ser une orga­ni­sa­tion et une divi­sion de plus en plus com­plexe du tra­vail et expo­ser la main d’œuvre trans­for­mée en tra­vail abs­trait, frag­men­tée et quan­ti­fié à la concur­rence des machines. Ces contraintes se tra­dui­saient, pour les tra­vailleurs, par une triple dépos­ses­sion : la dépos­ses­sion des condi­tions et des outils de tra­vail, la dépos­ses­sion du tra­vail et la dépos­ses­sion par hété­ro­dé­ter­mi­na­tion de « tâches quan­ti­fiées, pré­dé­ter­mi­nées et rigou­reu­se­ment programmées ». 

De cette manière, le pro­ces­sus de pro­duc­tion pou­vait être déta­ché des besoins humains, pour être arri­mé aux seuls « besoins » du capi­tal. C’est là le sens pro­pre­ment éco­lo­gique de l’aliénation que vise Gorz : le mode de la pro­duc­tion capi­ta­liste intro­duit une déchi­rure radi­cale dans le monde du vécu, une déchi­rure qui détourne le tra­vail et la vie elle-même des besoins et néces­si­tés ‘natu­relles’ au ser­vice de l’accumulation du capital :

La pro­duc­tion est ain­si deve­nue, avant tout, un moyen pour le capi­tal de s’accroître ; elle est avant tout au ser­vice des « besoins » du capi­tal et ce n’est que dans la mesure où le capi­tal a besoin de consom­ma­teurs pour ses pro­duits que la pro­duc­tion est aus­si au ser­vice de besoins humains. Ces besoins, tou­te­fois, ne sont plus des besoins ou des dési­rs « natu­rels », spon­ta­né­ment éprou­vés, ce sont des besoins et des dési­rs pro­duits en fonc­tion des besoins de ren­ta­bi­li­té du capi­tal.18

Mais le ‘sys­tème’ ne fait pas que sup­plan­ter les besoins ‘natu­rels’ par les « besoins » de l’accumulation et de la crois­sance. Il fait bien mieux ! Le sys­tème intègre les besoins ‘natu­rels’, en les encou­ra­geant et en les mul­ti­pliant, de manière à ce que le plus grand nombre de besoins pos­sibles puisse entre­te­nir la plus impor­tante pro­duc­tion pos­sible de mar­chan­dises. Dans ce fait, on pour­rait par­ler d’une véri­table ‘per­ver­sion’ – détour­ne­ment de sa vraie nature – des besoins natu­rels, détour­nés de leur propre mode d’expression et de réa­li­sa­tion, et mis au ser­vice des besoins de l’accumulation du capital.

Si l’idée de Gorz semble tout à fait sédui­sante, elle implique en même temps deux pro­blèmes. D’une part, où et com­ment situer une « nature » humaine, ou des « besoins natu­rels » qui ne seraient pas déjà déter­mi­nés par la socia­li­sa­tion de l’individu ? D’autre part, quand bien même ces « besoins natu­rels » pour­raient clai­re­ment être défi­nis par oppo­si­tion à leur détour­ne­ment hété­ro­nome, com­ment conce­voir un ‘retour à la nature’ du moment que le sys­tème a réus­si à colo­ni­ser l’ensemble du monde vécu ? Gorz se heurte ici au pro­blème de la média­tion cultu­relle tota­li­taire déve­lop­pé par la Dia­lec­tique des lumières. Il connaît bien le pro­blème et pense pou­voir le résoudre par une action poli­tique et une réorien­ta­tion de l’économie.

Dans ce sens, Gorz écrit :

La moti­va­tion pro­fonde est tou­jours de défendre le « monde vécu » contre le règne des experts, contre la quan­ti­fi­ca­tion et l’é­va­lua­tion moné­taire, contre la sub­sti­tu­tion de rap­ports mar­chands, de clien­tèle, de dépen­dance à la capa­ci­té d’au­to­no­mie et d’au­to-déter­mi­na­tion des indi­vi­dus.19

La visée de l’autonomie et de l’auto-détermination, que Gorz attri­bue au pre­mier mou­ve­ment éco­lo­gique, se retrouve dans les « réseaux d’entraide de malades, mou­ve­ment en faveur des méde­cines alter­na­tives, mou­ve­ment pour le droit à l’avortement, mou­ve­ment pour le droit de ‘mou­rir dans la digni­té’ […] ». Ces mou­ve­ments se carac­té­risent par leurs ten­ta­tives de recon­qué­rir la socia­li­té du monde vécu, face aux ingé­rences du sys­tème. Ce fai­sant, ils se démarquent donc en même temps du prin­cipe de l’industrialisme et du dog­ma­tisme scien­ti­fique, dont se nour­rit la rai­son ins­tru­men­tale et la contrainte de la croissance.

Par rap­port aux par­tis poli­tiques tra­di­tion­nels visant à « gérer le sys­tème dans l’intérêt de leurs clien­tèles élec­to­rales », les reven­di­ca­tions des pre­miers mou­ve­ments éco­lo­gistes pou­vaient d’abord paraître anti­po­li­tiques ou pure­ment cultu­relles. Mais dès 1972, avec la paru­tion du Blue­print for Sur­vi­val20 et celle du fameux trai­té the Limits of Growth21 du Club de Rome, les reven­di­ca­tions éco­lo­gistes reçurent un poids poli­tique concret inespéré. 

À par­tir de ce moment l’écologie pou­vait deve­nir une force poli­tique en inter­ve­nant pra­ti­que­ment dans le monde, pour le sau­ver. Et ce fut ce tour­nant qui intro­dui­sit une bifur­ca­tion dans l’approche éco­lo­gique qui dès diver­geait vers deux cou­rants mutuel­le­ment exclu­sifs : le cou­rant scien­ti­fique, exper­to­cra­tique, se liant avec les inté­rêts de la ges­tion du clien­té­lisme poli­tique, et le cou­rant défen­dant l’autonomie de l’approche éco­lo­gique comme res­ti­tu­tion d’un monde du vécu non-colonisé.

Gorz ne voit pour­tant pas la déco­lo­ni­sa­tion du monde vécu dans la pers­pec­tive pro­duc­ti­viste de Marx, ni dans la pers­pec­tive de la ratio­na­li­sa­tion de l’agir com­mu­ni­ca­tion­nel de Haber­mas. La solu­tion poli­tique ori­gi­nale qu’il pro­pose se situe d’abord, en en pre­mier lieu sur le plan de la production. 

L’autogestion qu’envisage Gorz n’est pas celle des ouvriers, gérant de façon indé­pen­dante la pro­duc­tion indus­trielle, mais celle d’une négo­cia­tion des « pro­duc­teurs asso­ciés », rédui­sant la pro­duc­tion à un mini­mum pos­sible, et com­pa­tible avec des besoins autolimités :

Cet arbi­trage, fon­dé sur des normes vécues et com­munes, condui­ra par exemple à tra­vailler de façon plus déten­due et gra­ti­fiante (plus « conforme à la nature humaine ») au prix d’une pro­duc­ti­vi­té moindre ; il condui­ra aus­si à limi­ter les besoins et les dési­rs pour pou­voir limi­ter l’ef­fort à four­nir. En pra­tique, la norme selon laquelle on règle le niveau de l’ef­fort en fonc­tion du niveau de satis­fac­tion recher­ché et vice ver­sa le niveau de satis­fac­tion en fonc­tion de l’ef­fort auquel on consent, est la norme du suf­fi­sant.22

La « norme du suf­fi­sant » est donc ce que Gorz oppose à la « reli­gion de la croissance ». 

Mais cette norme n’est pas sim­ple­ment à ancrer dans les besoins indi­vi­duels, de même que l’autogestion envi­sa­gée par l’écologie ne tient pas sim­ple­ment dans une socia­li­sa­tion des entre­prises. Le pro­jet qu’esquisse Gorz s’avère être net­te­ment plus vaste : il implique un chan­ge­ment fon­da­men­tal de la socié­té dans son ensemble ; un chan­ge­ment qui ne peut être réa­li­sé que comme effort poli­tique géné­ral. L’autolimitation se conçoit comme un pro­jet social qui repose sur le ré-encas­tre­ment de l’économie (au sens de K. Polanyi).

On en com­pren­dra aus­si que le ré-encas­tre­ment de l’économie se dis­tingue radi­ca­le­ment du déman­tè­le­ment du capi­ta­lisme envi­sa­gé par la plu­part des cou­rants mar­xistes. Il est dif­fé­rent aus­si des uto­pies, scien­ti­fiques ou non, esquis­sant des socié­tés nou­velles à par­tir de quelques grands prin­cipes poli­tiques abstraits. 

Pour Gorz la sor­tie de la colo­ni­sa­tion passe vers un mode de fonc­tion­ne­ment social où l’économie capi­ta­liste ne colo­nise plus le monde vécu. En termes wébé­riens, il s’agirait dès lors d’encourager une dif­fé­ren­cia­tion sociale qui ne soit plus domi­née par la sphère de valeur et de la ratio­na­li­té capitalistes. 

La forme de ce ré-encas­tre­ment de l’économie est révo­lu­tion­naire au pre­mier sens du mot : Gorz ne pro­pose rien de moins qu’une inver­sion de l’instrumentalisation du monde vécu par l’économie en une ins­tru­men­ta­li­sa­tion de l’économie par le monde du vécu. Poli­ti­que­ment, cette révo­lu­tion revien­drait à ren­ver­ser l’instrumentalisation capi­ta­liste de la démo­cra­tie en une ins­tru­men­ta­li­sa­tion démo­cra­tique de l’économie :

Quand ces cri­tères [non-éco­no­miques] l’emportent dans les déci­sions publiques et les conduites indi­vi­duelles et assignent à la ratio­na­li­té éco­no­mique une place subal­terne au ser­vice de fins non éco­no­miques, la socié­té sera sor­tie du capi­ta­lisme et aura fon­dé une civi­li­sa­tion dif­fé­rente.23

La révo­lu­tion éco­lo­gique de Gorz ne res­semble donc en rien à la grande fan­tas­ma­go­rie his­to­rique de la défla­gra­tion vio­lente, char­cu­tant et broyant les capi­ta­listes, et elle ne se nour­rit pas non plus du res­sen­ti­ment san­gui­naire de l’avant-garde bol­ché­vique, aspi­rant au ter­ro­risme cathar­tique. Bien au contraire : Gorz vise une tran­si­tion paci­fique, qui n’élimine même pas la ratio­na­li­té éco­no­mique et ses repré­sen­tants, mais qui les intègre dans une socié­té démocratique.

Assu­ré­ment, une telle tran­si­tion révo­lu­tion­naire démo­cra­tique manque de la sim­pli­ci­té de la guillo­tine et elle fait défaut à l’efficace d’un pas­sage par les armes. Dès lors, elle invite à la ques­tion de savoir com­ment ins­tau­rer une telle norme du suf­fi­sant et sur quelles forces sociales comp­ter pour la réa­li­sa­tion de la révolution ?

Sans illu­sions, Gorz recon­naît que dans les « socié­tés com­plexes » occi­den­tales qui sont les nôtres, une telle restruc­tu­ra­tion s’avère pro­pre­ment impos­sible. Et comme en plus, la seule voie qui lui paraisse accep­table soit celle de la démo­cra­tie, il n’y a aucun espoir à voir cette tran­si­tion réa­li­sée par le seul recours au vote.24

D’une part, il n’existe actuel­le­ment aucune norme com­mu­né­ment accep­tée et géné­ra­le­ment par­ta­gée du suf­fi­sant. Et cette dis­sen­sion ne risque pas de dis­pa­raître de sitôt, car elle ne relève pas d’un simple hasard. D’autre part, la rai­son éco­no­mique ayant enva­hie les moindres recoins du monde vécu ‘natu­rel’, il ne se trouve plus d’endroit intou­ché, il n’existe plus de ‘nature’ quo­ti­dienne vierge, hors d’atteinte de l’aliénation capi­ta­liste, d’où l’on pour­rait extraire un quel­conque repère ‘natu­rel’ du suf­fi­sant. Sur ce point, Gorz s’accorde donc avec les auteurs de la Dia­lec­tique des lumières et il évite la méta­phy­sique naïve d’une quel­conque ‘nature’ humaine ou sociale ori­gi­nelle qu’il suf­fi­rait sim­ple­ment de res­ti­tuer ab ori­gine.25

Plus concrè­te­ment, une poli­tique du suf­fi­sant devrait pas­ser par l’institution d’une cor­ré­la­tion entre une réduc­tion du (temps de) tra­vail, une réduc­tion cor­res­pon­dante de la consom­ma­tion com­pen­sa­toire et une aug­men­ta­tion de la sécu­ri­té et de l’autonomie. Plus concrè­te­ment, cette nou­velle situa­tion devrait pas­ser la garan­tie d’un reve­nu suf­fi­sant géné­ra­li­sé et indé­pen­dant du temps de tra­vail. Elle néces­si­te­rait en même temps la créa­tion d’espace d’autonomie où la recons­ti­tu­tion du tis­su social déter­mi­né par la soli­da­ri­té et la socia­li­té puisse prendre racine. De cette manière, pense Gorz, les sphères sociales indé­pen­dantes de la ratio­na­li­té éco­no­mique, et à l’abri de l’instrumentalisation par la crois­sance capi­ta­liste, pour­raient pro­gres­si­ve­ment se développer. 

Gorz ne compte donc pas par­mi ceux qui attri­buent des qua­li­tés néfastes qua­si-magiques au capi­ta­lisme. Ce n’est pas le capi­ta­lisme en-soi qui trans­forme le monde du vécu en une socié­té de mar­ché, mais une poli­tique qui cède le pas aux besoins de l’économie.

Aus­si inté­res­sante qu’elle puisse paraître, la mise en œuvre de la norme du suf­fi­sant comme repart à la crois­sance se heurte à son tour à la ques­tion des forces sociales qui met­traient en œuvre une telle tran­si­tion éco­lo­gique. Comme Gorz l’avait déjà mon­tré dans ses Adieux au pro­lé­ta­riat26, il n’y a ici rien à espé­rer d’une ana­lyse mar­xiste tra­di­tion­nelle des classes sociales. Mais où cher­cher alors les forces de la résis­tance au capi­ta­lisme dans une socié­té de mar­ché inté­gra­le­ment déter­mi­née par son idéo­lo­gie de la crois­sance ? Réponse éton­nante : « le front est par­tout parce que le capi­tal exerce son pou­voir dans tous les domaines de la vie27 ».

À défaut d’une classe libé­ra­trice qui n’aurait plus rien à perdre que ses chaînes, une inter­ven­tion mobi­li­sa­trice géné­ra­li­sée devait donc com­men­cer par un « chan­ge­ment des men­ta­li­tés » et une « muta­tion des valeurs » autant chez les ouvriers que chez la classe domi­nante. Cela revien­drait-il à pen­ser que les forces sociales du chan­ge­ment n’existent pas encore ? Et si tel était le cas, com­ment ce front qui poten­tiel­le­ment serait par­tout, se for­me­rait-il en un mou­ve­ment politique ? 

Sur ce point, la révo­lu­tion éco­lo­gique achoppe donc sur le pro­blème tra­di­tion­nel de la conscience de classe ; un pro­blème qui tour­men­tait déjà la pra­tique de la ‘remise sur ses pieds’ des révo­lu­tion­naires mar­xistes. Sur quel pied faire dan­ser la révo­lu­tion démo­cra­tique des men­ta­li­tés, s’il s’agit de lut­ter contre la colo­ni­sa­tion omni­pré­sente, et dotée de toutes les armes de mani­pu­la­tion mas­sive, de l’’industrie de la conscience’28 ?

On ne deman­de­ra évi­dem­ment pas à Gorz de résoudre les pro­blèmes qu’aucun pen­seur poli­tique sérieux29 n’a pu résoudre. Son ana­lyse et sa cri­tique du déve­lop­pe­ment durable et du capi­ta­lisme ‘vert’ n’en res­tent pas moins per­ti­nentes, actuelles et tou­jours utiles face à l’idéologie nou­velle du tour­nant « vert ». 

Néan­moins la norme du suf­fi­sant qui serait à éta­blir par voie de déli­bé­ra­tions poli­tiques démo­cra­tiques, et qui n’aurait de sens que de par sa mise en œuvre sur un plan mon­dial, ne semble pas vrai­ment à même de mobi­li­ser ce front que Gorz voit par­tout. Les efforts poli­tiques inter­na­tio­naux semblent inva­ria­ble­ment aller dans la direc­tion du déve­lop­pe­ment durable, voire de l’écoblanchiment, réso­lu­ment contraires à la norme du suf­fi­sant. Aus­si ori­gi­nale et dési­rable qu’une telle norme puisse donc paraître sur le plan poli­tique, elle semble plus réa­liste et réa­li­sable dans le contexte des modes de vie indi­vi­duels ou de petites com­mu­nau­tés qu’au niveau d’une poli­tique mon­diale ou même nationale. 

Notes

  1. A Blue­print for Sur­vi­val. (1972). The New York Times.
  2. Gorz, A. (1992). L’écologie poli­tique entre exper­to­cra­tie et auto­li­mi­ta­tion. Actuel Marx, n° 12(2), 15‑29.
  3. Gorz, A. (2019). Éloge du suf­fi­sant (C. Gil­liand, Éd.). Paris : PUF, p. 13
  4. Ibid., p. 24.
  5. Brut­land, Gro Har­lem. (1987). Notre ave­nir com­mun. Consul­té sur https://​www​.diplo​ma​tie​.gouv​.fr/​s​i​t​e​s​/​o​d​y​s​s​e​e​-​d​e​v​e​l​o​p​p​e​m​e​n​t​-​d​u​r​a​b​l​e​/​f​i​l​e​s​/​5​/​r​a​p​p​o​r​t​_​b​r​u​n​d​t​l​a​n​d​.​pdf
  6. Ibid.
  7. Ibid., p.19
  8. Morin, Edgar. (1980). La vie de la vie, Paris, Seuil, p. 94 – 95, cité dans Gorz, A, op.cit. p. 22.
  9. Pour une rai­son dif­fi­cile à com­prendre, les com­men­ta­teurs fran­çais semblent presque comme par une sorte de ‘réflexe aca­dé­mique’ relier l’acceptation du terme de Lebens­welt par Gorz à Hus­serl. Gorz lui-même se réfère néan­moins très expli­ci­te­ment à Haber­mas et par ce biais, aus­si à la cri­tique de la concep­tion phé­no­mé­no­lo­gique, « égo­lo­gique » (la sub­jec­ti­vi­té mono­lo­gique), de la Lebens­welt.
  10. Gorz, op.cit., p. 28. Plus loin : « […] par « culture du quo­ti­dien », j’entends l’ensemble des savoirs intui­tifs, des savoir-faire ver­na­cu­laires (au sens qu’Ivan Illich donne à ce terme), des habi­tudes, des normes et des conduites allant de soi, grâce auquel les indi­vi­dus peuvent inter­pré­ter, com­prendre et assu­mer leur inser­tion dans le monde qui les entoure. La « nature » dont le mou­ve­ment exige la pro­tec­tion n’est pas la Nature des natu­ra­listes ni celle de l’écologie scien­ti­fique […]. »
  11. Haber­mas, J. (1991). Theo­rie des kom­mu­ni­ka­ti­ven Han­delns Bd. 2. Zur Kri­tik der funk­tio­na­lis­ti­schen Ver­nunft. Frank­furt am Main : Suhr­kamp, p. 182 et p. 192. On pen­se­rait tout aus­si bien à la « doxa » de Pierre Bour­dieu.
  12. « J’ap­pelle culture la réserve de connais­sances à par­tir de laquelle les par­ti­ci­pants à la com­mu­ni­ca­tion se four­nissent en inter­pré­ta­tions en com­mu­ni­quant sur quelque chose dans un monde. J’ap­pelle socié­té l’ordre légi­time par lequel les par­ti­ci­pants à la com­mu­ni­ca­tion régulent leur appar­te­nance à des groupes sociaux et assurent ain­si la soli­da­ri­té. Par per­son­na­li­té, j’en­tends les com­pé­tences qui rendent un sujet capable de par­ler et d’a­gir, c’est-à-dire de répa­rer, de par­ti­ci­per aux pro­ces­sus de com­mu­ni­ca­tion et donc d’af­fir­mer sa propre iden­ti­té. » Haber­mas, op.cit., p. 209.
  13. Haber­mas, op.cit., p. 271.
  14. Dans la ‘tra­duc­tion’ plus dra­ma­tique de Gorz, cette idée se for­mule comme suit : « [La méga­ma­chine indus­trielle] alié­nait aux habi­tants le peu qu’il leur res­tait du milieu « natu­rel », les agres­sait par ses nui­sances et, plus fon­da­men­ta­le­ment, confis­quait le domaine public au pro­fit d’ap­pa­reils tech­niques qui sym­bo­li­saient la vio­la­tion par le capi­tal et par l’É­tat du droit des indi­vi­dus à déter­mi­ner eux-mêmes leur façon de vivre ensemble, de pro­duire et de consom­mer. » (Gorz, op. cit., p. 31)
  15. La proxi­mi­té de Gorz à l’analyse de Haber­mas est patente quand il écrit : « Le sys­tème enva­hit et mar­gi­na­lise le monde vécu, c’est-à-dire le monde acces­sible à la com­pré­hen­sion intui­tive et à la sai­sie pra­ti­co-sen­so­rielle. Il enlève aux indi­vi­dus la pos­si­bi­li­té d’a­voir un monde et de l’a­voir en com­mun. » (Gorz, op. cit., p. 29)
  16. Voir à ce pro­pos Col­liot-Thé­lène, C. (2011). Retour sur les ratio­na­li­tés chez Max Weber. Les Champs de Mars, N° 22(2), p. 13 – 30.
  17. Haber­mas semble plus ambi­gu quant à la poli­tique qu’il voit en même temps comme un sys­tème, c’est-à-dire comme pou­voir admi­nis­tra­tif objec­ti­vé, et comme pro­ces­sus de for­ma­tion d’une volon­té démo­cra­tique à par­tir du Lebens­welt.
  18. Gorz, op.cit., p.42.
  19. Gorz, op. cit., p. 32.
  20. La pre­mière publi­ca­tion, qui date de jan­vier 1972, a paru dans une édi­tion spé­ciale de The Eco­lo­gist.
  21. Les auteurs du trai­té sur les limites de la crois­sance pen­saient, tout à fait au contraire de l’ONU : « Our present situa­tion is so com­plex and is so much a reflec­tion of man’s mul­tiple acti­vi­ties, howe­ver, that no com­bi­na­tion of pure­ly tech­ni­cal, eco­no­mic, or legal mea­sures and devices can bring sub­stan­tial impro­ve­ment. Enti­re­ly new approaches are requi­red to redi­rect socie­ty toward goals of equi­li­brium rather than growth. » Mea­dows, D. H., & Club of Rome (Éd.). (1972). The Limits to Growth : A report for the Club of Rome’s pro­ject on the pre­di­ca­ment of man­kind. New York : Uni­verse Books, p. 194.
  22. Gorz, op. cit., p. 36.
  23. Gorz, op. cit., p. 50.
  24. Il fau­drait bien plus qu’un pas­sage aux urnes et bien autre chose qu’un par­ti pro­mul­guant une nou­velle norme du suf­fi­sant, il fau­drait un renou­vel­le­ment ‘inté­rieur’ du monde vécu lui-même : « La socié­té ne sera jamais « bonne » par son orga­ni­sa­tion, mais en rai­son des espaces d’auto-organisation, d’autonomie, de coopé­ra­tion et d’échanges volon­taires que cette orga­ni­sa­tion offre aux indi­vi­dus. » (Gorz, A. (1980). Adieux au pro­lé­ta­riat. Au-delà du socia­lisme. Paris : Gali­lée.)
  25. On pen­se­ra aus­si à la dif­fé­rence entre l’économie de mar­ché et la socié­té de mar­ché déve­lop­pée plus récem­ment par Michael San­del : « A mar­ket eco­no­my is a tool — a valuable and effec­tive tool — for orga­ni­zing pro­duc­tive acti­vi­ty. A mar­ket socie­ty is a way of life in which mar­ket values seep into eve­ry aspect of human endea­vor. It’s a place where social rela­tions are made over in the image of the mar­ket. » San­del, M. J. (2012). What Money can’t buy : The Moral Limits of Mar­kets. USA : Mcmil­lan, p. 10.
  26. Gorz, A. (1980). Adieux au pro­lé­ta­riat. Paris : Éd. Gali­lée.
  27. Gorz, Éloge du suf­fi­sant, p. 52.
  28. Enzens­ber­ger, H. M. (2010). Bewußt­seins-Indus­trie. In Ein­zel­hei­ten. 1, p. 7‑15. Frank­furt am Main : Suhr­kamp.
  29. Les pré­ten­dants à l’exploit ne manquent pas, mais ils manquent de sérieux.