Le détournement cognitif

Dans un entre­tien avec le socio­logue alle­mand Ste­phan Les­se­nich, direc­teur de l’Institut de recherches en sciences sociales de Franc­fort1(IfS), dif­fu­sé sur la radio publique alle­mande2, la jour­na­liste Jose­phine Schulz évoque les mani­fes­ta­tions orga­ni­sées par Die Linke pour l’automne à venir.

Sous le slo­gan de l’« automne chaud », Die Linke appelle à des mani­fes­ta­tions sociales « contre l’ex­plo­sion des prix de l’a­li­men­ta­tion, de l’éner­gie et du coût de la vie. » La gauche réclame qu’au « lieu de 100 mil­liards de paquets d’ar­me­ment » l’Al­le­magne a sur­tout besoin d’un allè­ge­ment de la hausse des prix ».3

Mais, nous rap­pellent les pré­sen­ta­teurs à la radio, le par­ti de la gauche est divi­sé en son sein entre une nou­velle géné­ra­tion qui s’intéresse sur­tout aux ques­tions éco­lo­giques, à la lutte contre le sexisme et à la recon­nais­sance des trans­genres, et une ancienne garde qui per­siste dans sa cri­tique des poli­tiques néo­li­bé­rales et impé­ria­listes. L’au­di­teur apprend que la « que­relle du par­ti » s’exprime sur­tout dans le débat autour de la per­sonne de Sah­ra Wagenk­necht et de ses posi­tions. Celles-ci, apprend-on, sont deve­nues de plus en plus « insup­por­tables » sur le plan moral.

Depuis ses remises en ques­tion des confi­ne­ments et de l’obligation vac­ci­nale (et des licen­cie­ments occa­sion­nés par la non-vac­ci­na­tion), depuis ses cri­tiques des oppor­tu­nistes poli­tiques et finan­ciers nés de la pan­dé­mie, Sah­ra Wagenk­necht a éga­le­ment eu l’impertinence de remettre en ques­tion les dis­cours idéo­lo­giques amé­ri­cains et euro­péens quant à la guerre en Ukraine.

Dou­ble­ment immo­rale et abjecte donc pour vou­loir débattre des excès de la poli­tique sani­taire et des poli­tiques de guerre de l’OTAN et de l’Union euro­péenne, Wagenk­necht se voit assi­mi­lée aux tenants des posi­tions les plus radi­cales de l’extrême-droite alle­mande par ses critiques.

Dans l’interview, les pro­pos du socio­logue de « gauche », direc­teur de ce même ins­ti­tut qui, jusque dans les années 1970, repré­sen­tait la « théo­rie cri­tique », s’ac­cordent sur ce même dis­cours : Sah­ra Wagenk­necht et son époux Oscar Lafon­taine se rap­pro­che­raient de l’extrême droite du fait d’articuler la « ques­tion sociale » des lais­sés-pour-compte du capi­ta­lisme avec un natio­na­lisme populiste. 

Plus concrè­te­ment, Ste­phan Les­se­nich affirme sans autre pré­ci­sion que Wagenk­necht « joue la carte natio­nale-sociale » quand, pré­tend-il, elle affirme que la popu­la­tion alle­mande souf­fri­rait davan­tage de la guerre en Ukraine que la popu­la­tion ukrai­nienne elle-même.

Pour preuve de cette attri­bu­tion à l’ex­trême-droite, les inter­ve­nants de la radio publique men­tionnent le slo­gan des mani­fes­ta­tions de Die Linke, « l’automne chaud ». Ce der­nier aurait d’abord été uti­li­sé par l’AfD (le par­ti de la droite dite « popu­liste », oppo­sé à l’Union euro­péenne et incluant des repré­sen­tants de l’extrême-droite alle­mande) et serait de ce fait la marque idéo­lo­gique carac­té­ris­tique de l’extrême-droite. Ain­si, les pré­sen­ta­teurs sug­gèrent des « points com­muns », voire un ter­rain d’entente poli­tique entre une extrême-gauche soi-disant repré­sen­tée par Wagenk­necht et Lafon­taine et une extrême-droite anti-démo­cra­tique. Cette ren­contre des extrêmes ne relè­ve­raient pas d’un simple hasard, d’une simple conver­gence des mots d’rodre, mais d’un accord poli­tique profond.

La dis­cus­sion radio­pho­nique se concentre ensuite sur la ques­tion de savoir com­ment une vraie gauche pour­rait se posi­tion­ner par rap­port à la « ques­tion sociale » sans enga­ger d’alliance de prin­cipe avec l’extrême-droite, c’est-à-dire, en somme, sans paraître recou­rir à des for­mu­la­tions rap­pe­lant ou évo­quant l’extrême droite. Parce que l’identité ou la simi­la­ri­té des for­mules ou des devises vaut pour preuve d’une conver­gence des convic­tions poli­tiques, et donc d’une alliance des positions.

Ain­si, le débat sur les prises de posi­tions clai­re­ment argu­men­tées et bien infor­mées de Wagenk­necht et de Lafon­taine est rem­pla­cée par des ques­tions tech­niques de rela­tions-publiques. La jour­na­liste et le socio­logue s’interrogent sur­tout sur la ques­tion de com­ment mani­fes­ter sans être per­çu comme appar­te­nant à l’extrême-droite. 

Ce que le socio­logue de l’IfS de Franc­fort et la jour­na­liste passent ain­si sous silence, c’est la rai­son même des mani­fes­ta­tions de la gauche, ce sont les conte­nus des argu­ments de Wagenk­necht quant aux consé­quences de la poli­tique des sanc­tions et des livrai­sons d’armes.

Sans entrer dans le détail de la dis­cus­sion : du côté fac­tuel, les affir­ma­tions du socio­logue et de la jour­na­liste sont, dans leur ensemble, clai­re­ment fausses – ni Sah­ra Wagenk­necht, ni Oscar Lafon­taine n’ont jamais sous­crit à une quel­conque idéo­lo­gie ou poli­tique d’extrême-droite, voire natio­nal-socia­liste – et abu­si­ve­ment accu­sa­trices et moralisatrices.

Par voie d’associations gra­tuites, d’allusions, de sous-enten­dus, de silences stra­té­giques, d’insinuations et autres jeux de mots – « la carte natio­nale-sociale » n’est bien évi­dem­ment pas sans évo­quer le natio­nal-socia­lisme – les inter­lo­cu­teurs de la radio publique répètent sur­tout un unique mes­sage essen­tiel : qui­conque cri­tique la poli­tique mili­taire de l’Allemagne ou de l’OTAN se situe à l’extrême-droite et reven­dique une poli­tique anti-démocratique.

Si de telles tech­niques rhé­to­riques de détour­ne­ment semblent deve­nues cou­rantes dans cer­tains médias4, il est dérou­tant de les voir deve­nues aus­si natu­relles et évi­dentes dans les pro­pos d’intellectuels et d’« experts » aca­dé­miques de gauche.

La Deut­schland­funk compte assu­ré­ment par­mi ce qui se fait de plus sérieux en termes de radio publique, et la per­sonne de Les­se­nich y apporte tout le poids sym­bo­lique d’un ins­ti­tut répu­té pour ses tra­vaux cri­tiques et d’une uni­ver­si­té de renom. De même, les tra­vaux de Les­se­nich (voir infra) portent prin­ci­pa­le­ment sur la cri­tique du capi­ta­lisme, sur la nature de la démo­cra­tie et la théo­rie de l’État pro­vi­dence.5 Ces recherches situent a prio­ri l’actuel direc­teur de l’IfS sociales dans la lignée des pen­seurs de la troi­sième géné­ra­tion de l’« École de Franc­fort ». Un héri­tage qui est dès lors d’autant plus décon­cer­tant à rap­pro­cher l’une des rares cri­tiques des poli­tiques guer­rières de l’Europe du natio­nal-socia­lisme, ou du moins des idéo­lo­gies les plus extrêmes et les moins démo­cra­tiques de l’AfD.

Le sen­ti­ment d’aliénation et de stu­peur intel­lec­tuelle qui sai­sit l’auditeur face à une telle mise-en-scène d’une fausse réa­li­té fait aisé­ment pen­ser au phé­no­mène du détour­ne­ment cog­ni­tif (gas­ligh­ting) et de ses effets. Le phé­no­mène est d’a­bord issu de situa­tions fami­liales très par­ti­cu­lières. Cepen­dant, il s’a­vère inté­res­sant aus­si comme méta­phore pour pen­ser cer­taines tech­niques d’in­for­ma­tion ou cer­taines situa­tions de communication. 

La notion de détour­ne­ment cog­ni­tif est issue de la psy­chia­trie, et plus pré­ci­sé­ment d’un cer­tain type d’instrumentalisation de la psy­chia­trie où une per­sonne ou une famille tente à induire un état de confu­sion, voire de « folie » chez une autre per­sonne, dont il s’a­git de se débar­ras­ser. En 1793, un comi­té de la Chambre des com­munes du Royaume-Uni rele­vait le fait que « des per­sonnes ont été inter­nées dans des asiles pour résoudre les pro­blèmes fami­liaux et sociaux » (cité dans Bar­ton et Whi­te­head, 1969). Dans leur article ori­gi­nal du Lan­cet, les psy­chiatres Bar­ton et Whi­te­head illus­trent cette pra­tique par deux com­plots fami­liaux, visant à écar­ter un membre de la famille en le fai­sant inter­ner dans un ser­vice psychiatrique.

Dans leur reprise du phé­no­mène, Smith et Sina­nan (1972) relatent deux cas cli­niques où des époux mettent en œuvre toutes sortes de stra­té­gèmes pour rendre leurs par­te­naires fous. Pour­tant, la conclu­sion des psy­chiatres peut paraître éton­nante : si les cas de détour­ne­ment cog­ni­tif men­tion­nés par la lit­té­ra­ture psy­chia­trique peuvent paraître dra­ma­tiques, ils n’en sont pas moins cou­rants dans la vie quotidienne.

Dans son article « L’effort pour rendre l’autre fou » de 1959, le psy­chiatre amé­ri­cain Harold Searles, spé­cia­liste du trai­te­ment des schi­zo­phré­nies, attire l’attention sur les simi­la­ri­tés entre les dif­fé­rents moyens psy­cho­lo­giques de rendre folle une per­sonne et les tech­niques de « lavage de cer­veau » (Searles, 1965). Mais tan­dis que, dans le second cas, ces efforts sont volon­taires, pré­mé­di­tés et stra­té­giques, dans le pre­mier, ils s’avèrent pour la plu­part incons­cients. Par ailleurs, Searles remarque aus­si, à l’instar de ses pré­dé­ces­seurs, que ces modes d’interaction s’avèrent par­fai­te­ment cou­rants et quo­ti­diens (autant dans les rap­ports per­son­nels que dans les dis­cours poli­tiques des socié­tés démocratiques).

Dans sa for­mu­la­tion la plus abs­traite l’effort pour rendre l’autre fou relève de « tout type d’in­te­rac­tion inter­per­son­nelle qui tend à favo­ri­ser un conflit émo­tion­nel chez l’autre per­sonne – qui tend à acti­ver diverses par­ties de sa per­son­na­li­té en oppo­si­tion les unes aux autres – qui tend à le rendre fou » (ibid., 256). Ces tech­niques, ces modes de com­por­te­ment ont donc comme effet de « com­pro­mettre la confiance de l’autre per­sonne dans la fia­bi­li­té de ses propres réac­tions émo­tion­nelles et de sa propre per­cep­tion de la réa­li­té exté­rieure » (ibid., 260).

De même, en 1981, le psy­cha­na­lyste amé­ri­cain Edward Wein­shel relève la nature quo­ti­dienne, et poli­tique des méthodes du détour­ne­ment cognitif :

Nous affir­mons que les phé­no­mènes de gas­ligh­ting sont à la fois omni­pré­sents et inévi­tables ; nous pen­sons qu’ils jouent un rôle impor­tant dans les rela­tions humaines (…). Toute la ques­tion de la mani­pu­la­tion poli­tique et de la manière dont la publi­ci­té exerce un contrôle sur nos goûts, nos por­te­feuilles et nos vies est étroi­te­ment liée aux ques­tions que nous avons sou­le­vées à pro­pos du gas­ligh­ting cli­nique. (Wein­shel, 2003, 167)

En 1982, le psy­chiatre cana­dien tente de décrire les effets cou­rants du détour­ne­ment cog­ni­tif : l’in­cer­ti­tude et le doute chez la per­sonne qui en est concer­née, l’im­po­si­tion d’une double contrainte (double bind) qui remet en ques­tion les pen­sées et les sen­ti­ments. (Kut­cher, 1982, 226)

Ce que les psy­chiatres, psy­cha­na­lystes et psy­cho­logues s’intéressant au phé­no­mène du détour­ne­ment cog­ni­tif ne font qu’indiquer sans le déve­lop­per, c’est la mesure dans laquelle ces tech­niques ont été et sont pra­ti­quées (ce qui vaut encore pour aujourd’hui) dans le contexte des dis­cours poli­tiques et média­tiques. Des tech­niques de mani­pu­la­tion psy­cho­lo­gique donc, qui ont pu atteindre un degré de sub­ti­li­té et de finesse et qui n’est pas en reste par rap­port aux vignettes cli­niques détaillées des psy­chiatres et psychanalystes.

Ain­si, le Minis­tère de la Sécu­ri­té de l’État de la R.D.A., la tris­te­ment fameuse Sta­si, p.ex. recom­man­dait dès 1972 la tech­nique de la « décom­po­si­tion » (Zer­set­zung) des enne­mis sup­po­sés de l’État. Cette Zer­set­zung consis­tait en l’effort « de frag­men­ter, de para­ly­ser, de désor­ga­ni­ser les forces adverses et de les iso­ler entre elles et de l’en­vi­ron­ne­ment ». De cette manière, les « actions « hos­tiles » devaient être pré­ve­nues, limi­tées ou empê­chées de manière pré­ven­tive ». (Auer­bach & Kowalc­zuk, 2022)

Dans le cas de per­sonnes par­ti­cu­lières, l’État ›démo­cra­tique‹ met­tait en œuvre des mesures visant à

dis­cré­di­ter sys­té­ma­ti­que­ment la répu­ta­tion, l’i­mage et le pres­tige publics sur la base d’in­di­ca­tions dis­cré­di­tantes véri­diques et véri­fiables liées entre elles, ain­si que d’in­di­ca­tions fausses, cré­dibles, non réfu­tables et donc éga­le­ment dis­cré­di­tantes (Direc­tive 1/76, ibid.)

Ces opé­ra­tions visaient en pre­mier lieu à pro­duire un impact psy­cho­lo­gique chez les dis­si­dents ou les enne­mis de la « démo­cra­tie ». La décom­po­si­tion, conçue comme une mesure édu­ca­tive plu­tôt que puni­tive, vise « les condi­tions inté­rieures des per­sonnes » : « Les atti­tudes et les convic­tions de ces per­sonnes devraient être ébran­lées, influen­cées, pro­gres­si­ve­ment modi­fiées. » (Cité d’après Süß, 1999).

La direc­tive 1/76 recom­man­dait notam­ment 12 tech­niques de mani­pu­la­tion psy­cho­lo­gique aux agents opé­ra­tion­nels : dis­cré­di­ter la per­sonne ou le groupe, orga­ni­ser sys­té­ma­ti­que­ment l’échec pro­fes­sion­nel, saper les convic­tions et les idéaux, sus­ci­ter et main­te­nir la méfiance, faire naître des riva­li­tés au sein des groupes, dif­fu­ser des rumeurs ciblées, etc.

Par­mi les pro­cé­dés épis­té­mo­lo­gi­que­ment les plus ‹inté­res­sants›, il faut comp­ter ceux qui recourent aux mélanges savants de véri­tés (ou de faits) et d’inventions mani­pu­la­tives. Ain­si, la Sta­si recom­man­dait-elle de mêler dans un même dis­cours des « infor­ma­tions vraies, véri­fiables et des infor­ma­tions dis­cré­di­tantes, ain­si que (des) infor­ma­tions fausses, cré­dibles, non réfu­tables » (Süß, 1999, 196). 

La stra­té­gie est astu­cieuse car comme les infor­ma­tions fausses sont notoi­re­ment dif­fi­ciles à réfu­ter, leur simple usage porte un pré­ju­dice dif­fi­cile à effa­cer. Et la tech­nique de dés­in­for­ma­tion cal­cu­lée, mélan­geant savam­ment faits et fabri­ca­tions, rend ce type de mani­pu­la­tion d’autant plus dif­fi­cile à dis­cer­ner (voir l’en­trée « dés­in­for­ma­tion » dans le dic­tion­naire du Minis­tère de la Sécu­ri­té d’É­tat6).

Bien évi­dem­ment, les tech­niques de la RDA ne se sou­ciaient guère de l’a­na­lyse des effets psy­cho­lo­giques de la Zer­set­zung opé­ra­tio­nelle. Il n’est pour­tant pas dif­fi­cile de recon­naître ces effets dans les des­crip­tions des concer­nés : conflits émo­tion­nels et cog­ni­tifs, anxié­tés liées à l’humiliation et à l’isolement, voire à la perte du tra­vail, confu­sion, per­plexi­té et ébran­le­ment de l’estime de soi, sus­pi­cion, sen­ti­ment d’insécurité et rési­gna­tion (voir Behnke et Tro­bisch-Lütge, 1998). 

Comme l’a mon­tré la recherche de San­dra Pin­gel-Schlie­mann (2004), la « décom­po­si­tion » envi­sa­geait expli­ci­te­ment de pro­vo­quer, par-delà la confu­sion, le doute, la dif­fa­ma­tion et la honte, de véri­tables crises exis­ten­tielles et des sui­cides chez les concer­nés. Le désir d’homicide (« l’équivalent psy­cho­lo­gique du meurtre », Searles, 1965, 261), décrit par­mi les moti­va­tions cachées du détour­ne­ment cog­ni­tif par H. Searles, n’existe donc pas seule­ment dans l’inconscient de cer­tains indi­vi­dus : il peut faire par­tie des stra­té­gies poli­tiques pré­mé­di­tées d’un État, d’une ins­ti­tu­tion ou d’un parti.

Assu­ré­ment, on ne pen­se­ra pas que les États euro­péens actuels ou les médias publics remettent à l’ordre du jour l’application sys­té­ma­tique et cal­cu­lée des tech­niques de mani­pu­la­tion et de vio­lence psy­cho­lo­giques de la Sta­si à l’égard de celles et ceux qui for­mu­le­raient des cri­tiques éva­luées comme « ennemies ». 

Pour­tant, il est dif­fi­cile de ne pas remar­quer l’étonnante simi­la­ri­té des pro­cé­dés rhé­to­riques de dif­fa­ma­tion, mélan­geant faits et fic­tion, dans l’intention ouver­te­ment assu­mée de nuire. Assu­ré­ment, ce qui rele­vait encore, il y a quelque 30 et 40 ans, d’opérations dis­si­mu­lées conduites par les polices poli­tiques et les ser­vices secrets des dic­ta­tures semble deve­nu le « pain quo­ti­dien » de cer­tains jour­na­listes et intel­lec­tuels ani­mant le débat public. De même, ce qui ancien­ne­ment rele­vait des pra­tiques propres à quelques ins­ti­tu­tions poli­tiques et poli­cières iso­lées s’est dif­fu­sé plus lar­ge­ment dans les modes de pen­sée cou­rants des pou­voirs poli­tiques et ins­ti­tu­tion­nels des démo­cra­ties occi­den­tales, où elles ne paraissent même plus se heur­ter le regard cri­tique de beau­coup intel­lec­tuels. La « régres­sion démo­cra­tique » consta­tée par les poli­tistes s’ex­prime aus­si dans de telles trans­for­ma­tions du dis­cours et du débat public que d’au­cuns défi­nissent tou­jours comme fon­de­ment d’une démo­cra­tie déli­bé­ra­tive (voir Haber­mas, 2022). 

Notes

  1. Le même ins­ti­tut qui regrou­pait les pen­seurs de la pre­mière géné­ra­tion de la « théo­rie cri­tique », mieux connue sous le nom de « école de Franc­fort » dès la fin des années 60. ↩︎
  2. Voir : « Ärger in der Links­par­tei : Inter­view mit Ste­phan Les­se­nich, Sozio­loge » (Jose­phine Schulz. 17 sep­tembre 2022 à 08h15). https://​www​.deut​schland​funk​.de/​a​e​r​g​e​r​-​i​n​-​d​e​r​-​l​i​n​k​s​p​a​r​t​e​i​-​i​n​t​e​r​v​i​e​w​-​m​i​t​-​s​t​e​p​h​a​n​-​l​e​s​s​e​n​i​c​h​-​s​o​z​i​o​l​o​g​e​-​d​l​f​-​1​f​2​0​9​6​8​8​-​1​0​0​.​h​tml ↩︎
  3. Voir « Poli­tische Bil­dung für einen Heißen Herbst » : https://​www​.die​-linke​.de/​p​a​r​t​e​i​/​p​o​l​i​t​i​s​c​h​e​-​b​i​l​d​u​n​g​/​b​i​l​d​u​n​g​s​v​e​r​a​n​s​t​a​l​t​u​n​g​e​n​/​h​e​i​s​s​e​r​-​h​e​r​b​st/ ↩︎
  4. Voir le repor­tage sur le popu­lisme sup­po­sé d’extrême-droite de S. Wagenk­necht sur la chaîne publique alle­mande ARD : https://​www​.ard​me​dia​thek​.de/​v​i​d​e​o​/​m​o​n​i​t​o​r​/​h​e​i​s​s​e​r​-​h​e​r​b​s​t​-​p​r​o​t​e​s​t​-​v​o​n​-​l​i​n​k​s​-​o​d​e​r​-​r​e​c​h​t​s​/​d​a​s​-​e​r​s​t​e​/​Y​3​J​p​Z​D​o​v​L​3​d​k​c​i​5​k​Z​S​9​C​Z​W​l​0​c​m​F​n​L​T​g​3​Z​D​l​i​M​z​c​x​L​W​V​i​M​z​I​t​N​D​c​z​O​S​0​4​N​j​J​h​L​T​c​3​Y​j​Q​4​Z​T​M​y​N​D​Q​yMA↩︎
  5. Pour être très pré­cis, il fau­drait évi­dem­ment dis­tin­guer l’État pro­vi­dence de l’État social, ce der­nier repré­sen­tant une variante du pre­mier. Voir Hinske, N. (2004). Kants War­nung vor dem Wohl­fahrtss­taat. Die neue Ord­nung, 58(6), 444‑451. ↩︎
  6. ↩︎

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