Franz Alexander : Principes de Psychanalyse

2002, Paris, Petite Biblio­thèque Payot (réédi­tion)

Franz Alexan­der (1891 – 1964) émi­gra aux Etats-Unis en 1930, ani­mé par la ferme déter­mi­na­tion de ne jamais appar­te­nir aux mino­ri­tés per­sé­cu­tées. Ain­si, il ne se sou­cia pas seule­ment d’entretenir de bonnes rela­tions avec l’élite sociale et finan­cière de Chi­ca­go, mais il essaya d’y intro­duire la psy­cha­na­lyse au sein des facul­tés de médecine. 

Alexan­der comp­tait ‘libé­rer’ la psy­cha­na­lyse de son sta­tut de « force révo­lu­tion­naire », qu’elle déte­nait en Europe (N.G. Hale), pour la refor­mu­ler en une science bien assi­mi­lée. C’est le prix qu’il s’apprêtait à payer pour arra­cher la psy­cha­na­lyse à ses contextes lit­té­raires, artis­tiques et phi­lo­so­phiques euro­péens, et pour la cou­ler dans le moule socia­le­ment plus ras­su­rant de la science médicale.

Ce fai­sant, Alexan­der adop­tait évi­dem­ment une posi­tion contraire à celle de Freud qui ne ces­sait de sou­li­gner son déta­che­ment par rap­port à la méde­cine. Curieuse, la psy­chia­trie amé­ri­caine s’y inté­res­sa pen­dant un court moment, pour la lais­ser tom­ber tout aus­si rapi­de­ment. Et il fal­lut attendre les années soixante-dix, avec leur cli­mat de révo­lu­tion et d’anti-psychiatrie, pour que les psy­chiatres la redé­couvrent. Mais là encore, le des­tin médi­cal de la psy­cha­na­lyse fut aus­si bref que l’intérêt poli­tique et social d’une méde­cine vite ren­trée au ber­cail de la science désintéressée. 

Pour­tant, mal­gré les vel­léi­tés épis­té­mo­lo­gi­que­ment et pra­ti­que­ment peu cré­dibles d’une médi­ca­li­sa­tion de la psy­cha­na­lyse, les Prin­cipes de psy­cha­na­lyse conservent un inté­rêt cer­tain. Inté­rêt his­to­rique tout d’abord, dans la mesure où Alexan­der repré­sente un moment cru­cial de l’histoire de la psy­cha­na­lyse amé­ri­caine. Psy­cha­na­ly­tique ensuite, dans la mesure où le texte se fonde sur une véri­table expé­rience psy­cha­na­ly­tique.

Par­mi les exemples les plus par­lants, on pour­rait évo­quer le cas du « tor­ti­co­lis » d’un ana­ly­sant d’Alexander. Quel méde­cin se sen­ti­rait ten­té d’aborder cette affec­tion émi­nem­ment soma­tique par le biais du seul dia­logue psy­cha­na­ly­tique, et de se satis­faire ensuite de mettre à jour un « désir incons­cient de fel­la­tion » sur arrière-plan d’effondrement des « défenses contre la dépen­dance orale pas­sive » (p. 281) ? Ce qui, dans le meilleur des cas, sus­ci­te­rait le sou­rire pour le moins iro­nique du scien­ti­fique, ne relève en effet d’aucune loi géné­rale ou uni­ver­selle. Car la com­pré­hen­sion psy­cha­na­ly­tique de la parole de l’analysant ne fait sens que dans le contexte de son his­toire per­son­nelle, et ne s’entend qu’à par­tir de l’articulation sin­gu­lière de son désir. Ain­si, contrai­re­ment aux inten­tions ori­gi­nelles, les Prin­cipes de psy­cha­na­lyse four­nissent éga­le­ment l’un des exemples les plus inté­res­sants pour une cri­tique de la médi­ca­li­sa­tion de la psychanalyse. 

Mais même en dehors de cette pro­blé­ma­tique, les Prin­cipes de psy­cha­na­lyse pré­sentent une intro­duc­tion tout à fait claire à la psy­cha­na­lyse. La théo­rie, la pra­tique, la tech­nique et même les aspects socio­lo­giques de la psy­cha­na­lyse y sont expo­sés de manière suc­cincte au tra­vers des dif­fé­rents cha­pitres de l’ouvrage. Ce der­nier reste d’ailleurs éton­nam­ment proche des concep­tions freu­diennes, quoi qu’il en soit des ambi­tions mon­daines et récon­ci­lia­trices de son auteur. Les Prin­cipes de psy­cha­na­lyse pré­sentent une belle col­lec­tion d’exemples et d’illustrations issues du tra­vail ana­ly­tique, qui cla­ri­fient les diverses arti­cu­la­tions de sa théorie.