Conspirations, délires et vérité

Remarques sur la « pilule électronique » de M. Bourla

Francisco de Goya. Dessin préparatoire pour "Le sommeil de la raison engendre des monstres" (1799)

« Le moi [trouve] un monde fou à appré­hen­der et c’est pour­quoi il se com­porte comme un fou1 »

Dans une vidéo datant du 25 jan­vier 2018, enre­gis­trée lors d’une confé­rence au World Eco­no­mic Forum et por­tant sur la trans­for­ma­tion de la san­té à l’âge de la qua­trième révo­lu­tion indus­trielle (« Trans­for­ming Health in the Fourth Indus­trial Revo­lu­tion »), Albert Bour­la, le C.E.O. de Pfi­zer, se réjouis­sait d’une nou­velle tech­no­lo­gie phar­ma­ceu­tique2, approu­vée par la FDA (l’agence fédé­rale amé­ri­caine des pro­duits ali­men­taires et médi­ca­men­teux)3 :

« La FDA a approu­vé la pre­mière pilule élec­tro­nique, si je peux l’appeler ain­si, il s’agit d’une puce bio­lo­gique qui se trouve dans le com­pri­mé et qui, une fois qu’on l’a ingé­rée et qu’elle s’est dis­soute dans l’estomac, envoie un signal indi­quant que vous avez pris le com­pri­mé. Ima­gi­nez les appli­ca­tions de cette technologie… »

Bien sûr, les Anti­vax et autres conspi­ra­tion­nistes ont repris à leurs comptes ces affir­ma­tions pour atti­rer l’attention sur les pos­sibles usages ‹ invo­lon­taires › de telles tech­no­lo­gies. Parce que, eux aus­si, se sont ima­gi­nés les appli­ca­tions de ces tech­no­lo­gies qui animent l’imaginaire des GAFAM et les pro­jets révo­lu­tion­naires du Forum Éco­no­mique Mondial.

De fait, cer­tains conspi­ra­tion­nistes auront été jusqu’à affir­mer que les vac­cins anti-Covid pou­vaient conte­nir des micro-puces ou des trans­pon­deurs RFID, per­met­tant aux ins­ti­tu­tions de contrôle de véri­fier le sta­tut sani­taire des indi­vi­dus.4

Les deux mondes

Face à l’imagination de ces com­plo­tistes, on pen­se­ra inévi­ta­ble­ment au texte clas­sique de Vic­tor Tausk, neu­ro­logue et psy­cha­na­lyste de la toute pre­mière géné­ra­tion, qui pro­po­sait en 1919, une ana­lyse des « appa­reils à influen­cer » dans le contexte de ce qu’aujourd’hui, on appel­le­rait la para­noïa (voire le trouble de la per­son­na­li­té para­noïde).5

La para­noïa est carac­té­ri­sée par une for­ma­tion de délire carac­té­ris­tique : le délire de per­sé­cu­tion. Dans l’une des pre­mières ana­lyses his­to­riques de ces formes de délires par les psy­chiatres fran­çais Paul Sérieux et Joseph Cap­gras (1909), la per­sé­cu­tion appa­raît comme essen­tiel­le­ment fon­dée sur l’activité de l’interprétation de la réa­li­té.6 Rai­son pour laquelle les délires para­noïaques ne paraissent pas néces­sai­re­ment fous : ils s’étayent sur une lec­ture par­ti­cu­lière de la réa­li­té et des faits.

À l’opposé de la schi­zo­phré­nie para­noïde, la para­noïa se passe aus­si bien d’hallucinations que de dis­so­cia­tions de la per­son­na­li­té. Elle pré­sente une recons­truc­tion sys­té­ma­tique du monde par voie d’interprétations qui, à l’occasion, peuvent por­ter tous les traits de la ratio­na­li­té bien orga­ni­sée et de la logique. Un trait que la para­noïa par­tage avec bon nombre de cri­tiques conspi­ra­tion­nistes, comme le constate le poli­to­logue et expert en conspi­ra­tion­nisme, Emma­nuel Taïeb : « Sous cet aspect, le com­plo­tisme ne relève pas d’une quel­conque irra­tio­na­li­té ana­ly­tique mais bien d’une expli­ca­tion poli­tique pra­tique du monde social. »7

Les appareils à influencer de la paranoïa

Cette simi­la­ri­té a pour effet de consi­dé­ra­ble­ment com­pli­quer la dif­fé­rence entre la para­noïa, la théo­rie du com­plot, et les sciences sociales cri­tiques, comme l’admet le pro­fes­seur dans son article de l’Ency­clopæ­dia Uni­ver­sa­lis.

Car si les théo­ries conspi­ra­tion­nistes peuvent res­sem­bler aus­si bien à la para­noïa qu’aux sciences sociales cri­tiques, ces der­nières peuvent se trans­for­mer tout aus­si aisé­ment en théo­ries du com­plot. Les théo­ries de la conspi­ra­tion ne res­semblent donc pas seule­ment aux sciences sociales cri­tiques, mais ces der­nières consti­tuent par­fois de véri­tables théo­ries de la conspi­ra­tion. On se sou­vien­dra de l’interprétation du Mar­xisme par Karl Pop­per.8 Mais le poli­to­logue expert dis­pose tout de même de cri­tères de démar­ca­tion clairs et distincts :

Le bas­cu­le­ment de tels tra­vaux dans une logique de type conspi­ra­tion­niste se pro­duit ain­si quand l’analyse pose que des inten­tions toutes puis­santes ne ren­contrent jamais aucune contrainte sociale, et affirme que les machi­na­tions cachées de cer­tains acteurs plus ou moins visibles pro­duisent tou­jours les effets atten­dus. Ou encore quand elle prête une conni­vence et un pou­voir convergent à des groupes en fait hété­ro­gènes et aux inté­rêts sou­vent contraires (élites, mino­ri­tés, banques, mul­ti­na­tio­nales, lob­bies, médias…), voire à des caté­go­ries sociales construites pour les besoins d’une cause, sans trans­po­si­tion dans la réa­li­té (les « 1 p. 100 »).

Avec son « appa­reil à influen­cer », Vic­tor Tausk a iso­lé une for­ma­tion typique de la for­ma­tion de délire : cer­taines per­sonnes atteintes de délires para­noïaques s’imaginent être sous l’influence d’appareils qui leur « volent pen­sées et sen­ti­ments, et ce par des ondes ou des rayons ou à l’aide de forces occultes […] ». De tels appa­reils sont mani­pu­lés par des enne­mis, et « il ne faut pas s’étonner que l’appareil enne­mi soit manié par des per­sonnes qui doivent appa­raître à l’observateur objec­tif comme des objets d’amour : des pré­ten­dants, des amants, des méde­cins. »9

« Les malades ne peuvent don­ner qu’une approxi­ma­tion de sa construc­tion », écrit Tausk. Il est géné­ra­le­ment com­po­sé de leviers, de roues, de fils et de bat­te­ries. Mais, les malades ins­truits « s’efforcent de devi­ner la com­po­si­tion de l’appareil à l’aide des connais­sances tech­niques dont ils dis­posent et il s’avère qu’avec le pro­grès de la popu­la­ri­té des sciences tech­niques, toutes les forces natu­relles au ser­vice de la tech­nique sont peu à peu uti­li­sées pour expli­quer les fonc­tions de l’appareil. »

Les appareils à influencer des conspirationnistes

Si le fonc­tion­ne­ment exact de l’appareil échappe en géné­ral aux malades, écrit Tausk, les « malades culti­vés s’efforcent, à l’aide des connais­sances tech­niques dont ils dis­posent, de devi­ner la com­po­si­tion de l’appareil. Au fur et à mesure que la dif­fu­sion des sciences tech­niques pro­gresse, il s’avère que toutes les forces natu­relles domes­ti­quées par la tech­nique sont mises à contri­bu­tion pour expli­quer le fonc­tion­ne­ment de cet appa­reil […]. »10

À l’ère de la qua­trième révo­lu­tion indus­trielle, rien ne semble plus évident dès lors, que l’appareil à influen­cer doive prendre la forme d’une pilule élec­tro­nique ou d’une puce ou d’un trans­pon­deur sous-cuta­né. De même que le patient de Tausk, qui avait pas­sé la bonne par­tie de sa vie à l’asile psy­chia­trique, les pilules de M. Bour­la feraient donc que nous serions, nous-aus­si « par­cou­ru de cou­rants élec­triques qui passent au sol en tra­ver­sant [nos] jambes ». Ou plu­tôt, par des cou­rants élec­triques qui passent par l’air et peuvent être émis et cap­tés par les antennes mys­tiques de nos télé­phones portables.

Les appareils à influencer du Forum Économique Mondial

Une fois de plus, le délire ne semble pas si éloi­gné de la réa­li­té. Car si ces tech­no­lo­gies existent bel et bien, et si leur usage est expli­ci­te­ment pré­vu pour les per­sonnes atteintes de « mala­dies men­tales » — notam­ment dans le cas du ‹ Abi­li­fy ›11, un anti­psy­cho­tique aty­pique —, son usage exem­plaire, selon l’agence fédé­rale amé­ri­caine des pro­duits ali­men­taires et médi­ca­men­teux, reste d’abord limi­té au seul contexte du soin. Le délire réel au ser­vice du bien-être des malades mentaux.

Loin d’être un appa­reil à influen­cer ou à déro­ber les pen­sées et les sen­ti­ments, la pilule élec­tro­nique sert à sur­veiller la « medi­ca­tion adhe­rence » (inten­tion­nelle, volon­taire), ou la « medi­ca­tion com­pliance » (non-inten­tion­nelle, invo­lon­taire), c’est-à-dire la confor­mi­té ou l’adhésion du patient au trai­te­ment pres­crit. Impos­sible donc de se sou­ti­rer à ses com­pri­més anti­psy­cho­tiques – et l’on se sou­vien­dra des mémo­rables scènes du Vol au-des­sus d’un nid de Cou­cou –, le méde­cin ou l’hôpital sau­ront si le malade a bien pris ses cachets.

Guérir les délires de persécution grâce à la surveillance

On appré­cie­ra l’ironie de la situa­tion : pour gué­rir les para­noïaques, la qua­trième révo­lu­tion indus­trielle invente des appa­reils qui réa­lisent de fait, ce dont les pauvres per­sé­cu­tés ne fai­saient que déli­rer. La pilule émet­trice de signaux, cen­sée enjoindre les patients à l’obéissance et les sou­mettre à la sur­veillance, per­met de les des­sai­sir de leur délire d’être influen­cés et per­sé­cu­tés. Ain­si, les « fils invi­sibles » ou la « télé­pa­thie » ima­gi­naires des fous sont réajus­tés à la réa­li­té (du pro­grès pas fou) par les ‹ fils › sub­tils des réseaux internet.

Mais, l’ironie ne s’arrête pas là. À l’instar des para­noïaques et conspi­ra­tion­nistes, M. Bour­la, un homme mani­fes­te­ment très culti­vé, est aisé­ment capable de s’imaginer d’autres appli­ca­tions « fas­ci­nantes » pour ses pilules à influen­cer. Dans l’entretien men­tion­né, le C.E.O. de Pfi­zer s’imagine notam­ment les situa­tions sui­vantes : les com­pa­gnies d’assurance pour­ront sur­veiller leurs clients et ajus­ter, le cas échant, leurs polices d’assurance, les res­pon­sables médi­caux sur­veille­ront poten­tiel­le­ment leurs patients même hors de l’hôpital, dans leur vie pri­vée, et tout ceci sans même men­tion­ner la très impor­tante « pré­ven­tion sani­taire ». Vous avez dit « pré­ven­tion sanitaire » ?

Bien sûr, pour­suit Bour­la, qui n’est pas en défaut d’imagination, plus besoin de vos montres de sport dans les salles de gym, plus besoin de cer­tains bilans san­guins : la pilule élec­tro­nique offre une solu­tion inté­grée qui va de l’obéissance médi­cale, du sport, de l’analyse du sang en trans­mis­sion directe, de l’état de san­té et de vac­ci­na­tion à la carte ban­caire et à l’identité élec­tro­nique. Et, pour que tout cela fonc­tionne, il suf­fit d’avoir « le bon type de maté­riel et d’infrastructure ». L’appareil à influen­cer de la qua­trième révo­lu­tion indus­trielle prend ici des allures systémiques.

Et Bour­la de ras­su­rer ses audi­teurs : il ne s’agira pas là d’une sur­veillance per­ma­nente. Les infor­ma­tions ne seront prises qu’au besoin, de manière spo­ra­dique, si bien que le clair du temps, les per­sonnes com­plé­tées (voir ci-des­sous) par les nou­velles tech­no­lo­gies pour­ront pas­ser le clair de leur temps hors surveillance.

Les rêveries du Panoptique électronique

De même que la pri­son ima­gi­naire du phi­lo­sophe uti­li­ta­riste Jere­my Ben­tham, il n’y aura pas donc besoin d’une sur­veillance jour et nuit. De quoi nous ras­su­rer. En guise d’un nou­veau dis­po­si­tif de contrôle, l’un des plus impor­tants pen­seurs du libé­ra­lisme poli­tique, avait inven­té une pri­son du nom de Pan­op­ti­con (de par son éty­mo­lo­gie : « voir tout »). Les per­sonnes enfer­mées dans ce dis­po­si­tif car­cé­ral – les cel­lules par­ti­cu­lières ouvertes vers l’intérieur sont dis­po­sées en cercle concen­trique autour d’une tour de garde qui ne donne pas à voir les sur­veillants – sont ain­si poten­tiel­le­ment sur­veillés à tout moment, même si de fait, cette sur­veillance n’est exer­cée qu’à cer­tains moments.

On aura aisé­ment pu voir dans la socié­té de l’internet, et dans le monde des « objets connec­tés » une réa­li­sa­tion ines­pé­rée du prin­cipe de la sur­veillance géné­ra­li­sée de Ben­tham ; une sur­veillance, qui pour la majo­ri­té d’entre nous et jusqu’à pré­sent se limi­tait sur­tout à la vente ciblée et intel­li­gente de pro­duits et de ser­vices par l’usage consen­suel et théo­ri­que­ment trans­pa­rent de nos don­nées. Ce que pro­pose la nou­velle tech­no­lo­gie des « pilules élec­tro­niques », c’est sim­ple­ment de rajou­ter le corps humain aux « objets connec­tés ». Et, en sui­vant la défi­ni­tion de l’Union inter­na­tio­nale des télé­com­mu­ni­ca­tions, de même que nos pen­sées, par le biais de nos ordi­na­teurs et télé­phones por­tables, le corps pour­rait faire par­tie de l’« infra­struc­ture mon­diale pour la socié­té de l’information, qui per­met de dis­po­ser de ser­vices évo­lués en inter­con­nec­tant des objets (phy­siques ou vir­tuels) grâce aux tech­no­lo­gies de l’information et de la com­mu­ni­ca­tion inter­opé­rables exis­tantes ou en évo­lu­tion. »12

Rap­pe­lons aus­si que pour Ben­tham, de même que pour les ingé­nieurs de la nou­velle révo­lu­tion indus­trielle, le tout-voir est façon­né à la seule fin du plus grand bon­heur du plus grand nombre pos­sibles. Ain­si, tout gou­ver­ne­ment devait s’astreindre aux quatre grands prin­cipes du gou­ver­ne­ment : la sub­sis­tance, l’abondance, la sécu­ri­té et l’égalité. Rien que les meilleures inten­tions : qui ne vou­drait pas voir sa sub­sis­tance, son abon­dance, sa sécu­ri­té et son éga­li­té assu­rée par des firmes ou des États qui voient tout ?

Le pouvoir totalitaire n’a pas besoin de surveillance permanente

Évi­dem­ment, le tout-voir, l’omniscience jusque-là réser­vée à la connais­sance méta­phy­sique d’un dieu, pour­rait don­ner lieu à un nou­veau type de pou­voir : le pou­voir tota­li­taire élec­tro­nique. Comme le com­men­tait Michel Fou­cault dans Sur­veiller et punir : cette sur­veillance et sa visi­bi­li­té per­ma­nente assure en même temps le fonc­tion­ne­ment auto­ma­tique du pou­voir » du fait d’une sur­veillance « per­ma­nente dans ses effets, même si dis­con­ti­nue dans son action ».13 Le tout-voir avec l’état conscient et per­ma­nent de visi­bi­li­té pro­duit un lien non seule­ment maté­riel, mais sur­tout psy­cho­lo­gique chez la per­sonne obser­vée : « Faire que la sur­veillance soit per­ma­nente dans ses effets, même si elle est dis­con­ti­nue dans son action ; que la per­fec­tion du pou­voir tende à rendre inutile l’actualité de son exer­cice ; que cet appa­reil archi­tec­tu­ral soit une machine à créer et à sou­te­nir un rap­port de pou­voir indé­pen­dant de celui qui l’exerce »14. À ce pro­pos, Ben­tham lui-même écrivait :

« L’inspection : voi­là le prin­cipe unique, et pour éta­blir l’ordre et pour le conser­ver : mais une ins­pec­tion d’un genre nou­veau, qui frappe l’imagination plu­tôt que les sens, qui mette des cen­taines d’hommes dans la dépen­dance d’un seul, en don­nant à ce seul homme une sorte de pré­sence uni­ver­selle dans l’enceinte de son domaine […]. L’inspecteur, invi­sible lui-même, règne comme un esprit. »15

Les grands archi­tectes éco­no­miques et éta­tiques du monde à venir rêve­raient-ils donc d’un nou­veau pou­voir pan­op­tique ? La nou­velle trans­pa­rence, relè­ve­rait-elle d’un pou­voir qui aurait pro­fi­té de la pan­dé­mie, entre autres, pour poser les jalons de la domi­na­tion, corol­laire la révo­lu­tion indus­trielle en marche ? Est-ce qu’enfin l’humain aug­men­té répond au pro­jet pan­op­tique de Ben­tham à l’âge de la connexion uni­ver­selle ? Loin s’en faut !, nous assurent les concer­nées et leurs véri­fi­ca­teurs de faits. Voi­là jus­te­ment l’estampille de la para­noïa sous-jacente au conspirationnisme.

Le grand projet du capitalisme de surveillance

C’est par ce type d’imaginaire que le conspi­ra­tion­nisme rejoint la para­noïa. Car le conspi­ra­tion­nisme « est une vision du monde qui affirme que le cours de l’histoire n’est pas le fruit des jeux poli­tiques natio­naux et d’actions humaines incer­taines, mais qu’il est en réa­li­té pro­vo­qué uni­for­mé­ment par l’action secrète d’un petit groupe d’hommes dési­reux de réa­li­ser un pro­jet de contrôle et de domi­na­tion des popu­la­tions. » 16 Ain­si « les fake news conspi­ra­tion­nistes appa­raissent comme des outils visant à impo­ser une cer­taine lec­ture poli­tique d’un évé­ne­ment […] et à dis­qua­li­fier celles qui appa­raissent comme « officielles ». »

Aucune rêve­rie de cette sorte au Forum Éco­no­mique Mon­dial, qui se situe aux anti­podes de la socié­té ou du capi­ta­lisme de sur­veillance !17 Il s’y agit seule­ment et sim­ple­ment du pro­jet phi­lan­thro­pique de l’« aug­men­ta­tion de l’être humain » (Cf. les human enhan­ce­ment tech­no­lo­gies, HET) ; d’un humain rac­cor­dé à des « sys­tèmes d’intelligence arti­fi­cielle » avec, on le com­pren­dra, la mise en place des infra­struc­tures néces­saires à cette aug­men­ta­tion. Soit : le pro­grès pour l’avancement de l’humanité et pour une meilleure san­té uni­ver­selle. Hon­ni soit qui mal y pense ! Car l’action du petit groupe d’hommes du Forum Éco­no­mique, dési­reux de réa­li­ser un pro­jet de contrôle et de domi­na­tion des popu­la­tions, est par­fai­te­ment offi­ciel et assumé.

Dans les mots de la poli­to­logue Sho­sha­na Zuboff :

Ce nou­veau pou­voir exerce sa volon­té par le biais d’instruments numé­riques. Il n’envoie per­sonne chez nous la nuit, pour nous emme­ner au gou­lag ou au camp. Il ne nous menace pas de meurtre ou de ter­reur. Ce n’est pas un pou­voir tota­li­taire. Mais c’est une forme nou­velle et sans pré­cé­dent de pou­voir, tout comme le tota­li­ta­risme qui s’est pré­sen­té comme un pou­voir nou­veau et sans pré­cé­dent au 20e siècle. Ce nou­veau pou­voir est ce que j’appelle un pou­voir ins­tru­men­taire. Il exerce sa volon­té à dis­tance, il vient à nous secrè­te­ment, sans bruit. Et si jamais nous savons qu’il est là, il peut même nous accueillir avec un cap­puc­ci­no et un sou­rire.18

Mais qui­conque n’y croi­rait tou­jours pas ces hommes et ces femmes pour­ra s’en remettre aux véri­fi­ca­teurs de faits et aux déco­deurs de dés­in­for­ma­tions, tou­jours neutres, infor­més de la véri­té et impré­gnés de science. Ces nou­veaux gar­diens de la véri­té auront tôt fait de dis­si­per les der­niers doutes conspirationnistes.

Le rétablissement de la vérité par le fact-checking médiatique

Résu­mons briè­ve­ment les argu­ments des ‹ véri­fi­ca­teurs de faits › (USA Today, Poli­ti­fact, Han­dels­zei­tung, etc.), qui traquent l’imagination para­noïde des conspirationnistes.

La preuve de la mal-pen­sance et la réfu­ta­tion du délire com­plo­tiste (sans anti-psy­cho­tiques élec­tro­niques, dans un pre­mier temps) se fait comme suit :

  1. Les tech­no­lo­gies et les appli­ca­tions des « pilules élec­tro­niques » et des injec­tions de micro­puces et de trans­pon­deurs pré­cèdent la pan­dé­mie du Covid,
  2. Bour­la n’a jamais affir­mé en 2018 qu’il allait ou vou­lait inté­grer cette tech­no­lo­gie aux vac­cins anti-Covid,
  3. de fait, les micro-puces ne sont pas men­tion­nées dans la liste des ingré­dients actuels des vac­cins anti-Covid,
  4. si l’injection et l’ingestion de micro­puces existe, et est de fait appli­quée dans cer­taines tech­niques et pro­cé­dures médi­cales, cela ne vaut pas dire qu’elles le soient auto­ma­ti­que­ment dans les vac­cins anti-Covid,
  5. et de toute manière, ce sont sur­tout les Anti­vax et les sup­por­ters de Trump qui asso­cient les vac­cins aux injec­tions de micropuces.

C.Q.F.D.

Une place à part, au som­met des garan­tis­seurs de faits objec­tifs, revient évi­dem­ment aux véri­fi­ca­teurs de l’agence de presse inter­na­tio­nale Asso­cia­ted Press. 19 Puisque c’est ici qu’une grande part de la « presse pro­fes­sion­nelle », comme aime à la nom­mer le pro­fes­seur Taïeb, trouve les fon­de­ments de sa vraie vérité.

Contre des affir­ma­tions conspi­ra­tion­nistes non citées, les véri­fi­ca­teurs d’AP remettent d’abord en ques­tion l’attribution de la nou­velle tech­no­lo­gie des pilules élec­tro­niques à Pfi­zer. Elle a été déve­lop­pée par Otsu­ka Phar­ma­ceu­ti­cal Co. et Pro­teus Digi­tal Health. De même, les véri­fi­ca­teurs rap­pellent qu’en 2018, Bour­la n’affirmait aucun pro­jet de recou­rir à une tech­no­lo­gie déve­lop­pée en 2020 pour une mala­die décou­verte en 2019. Qui en douterait ?

En guise d’experte repré­sen­ta­tive de la véri­té entre­pre­neu­riale, AP cite une porte-parole offi­cielle de Pfi­zer, Mme Jeri­ca Pitts confir­mant qu’il n’existe pas de preuve, à sa connais­sance, de micro-puces dans les vac­cins ou pilules de Pfizer.

De toute manière, sou­lignent encore les véri­fi­ca­teurs de AP, dans la vidéo en ques­tion, Albert Bour­la se serait exclu­si­ve­ment inté­res­sé au contrôle de l’adhésion médi­ca­men­teuse des patients. On pour­ra donc négli­ger « les appli­ca­tions » pos­sibles, énu­mé­rées par le direc­teur enthou­siaste, comme aucune de ces appli­ca­tions énu­mé­rées de fait ne relèvent du vac­cin de Pfizer.

Voi­là donc de quoi apai­ser les esprits et de quoi res­ti­tuer la véri­té : l’« aug­men­ta­tion de l’être humain », la sur­veillance médi­cale pri­vée et publique, la pré­ven­tion sani­taire de l’avenir, le contrôle omni­pré­sent de cer­taines entre­prises et États, et la mise en place des infra­struc­tures de rac­cor­de­ment aux sys­tèmes d’IA n’ont, en réa­li­té, rien à voir avec la pan­dé­mie du Covid en géné­ral, ni avec de quel­conques vac­cins en particulier.

Dépas­sons donc nos craintes para­noïaques et fai­sons confiance au pou­voir de la pro­chaine révo­lu­tion indus­trielle. Parce que ce sera celle de l’abondance, de la sécu­ri­té, de la san­té, du bon­heur, des cap­puc­ci­nos et des sou­rires pour tous.

Notes :

  1. Vic­tor Tausk, « Über die Ents­te­hung des Bein­flus­sung­sap­pa­rates in der Schi­zo­phre­nie », Zeit­schrift für ärzt­liche Psy­cho­ana­lyse, 5, 1919, p. 1 – 33 ; trad. fr. in La Psy­cha­na­lyse, 4, 1958 et V. Tausk, Œuvres psy­cha­na­ly­tiques, Paris, Payot, 1975 , 2000. ↩︎
  2. World Eco­no­mic Forum. (2018, jan­vier 25). Trans­for­ming Health in the Fourth Indus­trial Revo­lu­tion. https://www.youtube.com/watch?v=Uio8X1h0H‑E&t=2722s ↩︎
  3. Voir : Com­mis­sio­ner, O. of the FDA approves pill with sen­sor that digi­tal­ly tracks if patients have inges­ted their medi­ca­tion. (Novem­ber 13, 2017.)
    FDA. https://​www​.fda​.gov/​n​e​w​s​-​e​v​e​n​t​s​/​p​r​e​s​s​-​a​n​n​o​u​n​c​e​m​e​n​t​s​/​f​d​a​-​a​p​p​r​o​v​e​s​-​p​i​l​l​-​s​e​n​s​o​r​-​d​i​g​i​t​a​l​l​y​-​t​r​a​c​k​s​-​i​f​-​p​a​t​i​e​n​t​s​-​h​a​v​e​-​i​n​g​e​s​t​e​d​-​t​h​e​i​r​-​m​e​d​i​c​a​t​ion ↩︎
  4. Pour la tech­no­lo­gie en ques­tion, voir p.ex. Cf. aus­si les « implants élec­tro­niques », p.ex. https://​www​.wiki​wand​.com/​e​n​/​M​i​c​r​o​c​h​i​p​_​i​m​p​l​a​n​t​_​(​h​u​man) ↩︎
  5. Tausk, op. cit. ↩︎
  6. La spé­ci­fi­ci­té du délire para­noïaque a été conçu dès 1909, deux ans avant la pre­mière théo­rie psy­cha­na­ly­tique de la para­noïa de S. Freud, par Paul Sérieux et Joseph Cap­gras : Les folies rai­son­nantes. Le délire d’interprétation, 1909. Voir à ce sujet : Bré­maud, N. (2018). Contri­bu­tion à l’histoire du délire d’interprétation. L’information psy­chia­trique, 94(9), 766776. ↩︎
  7. Taïeb E. « Conspi­ra­tion­nisme », Ency­clopæ­dia Uni­ver­sa­lis en ligne, consul­té le 22 mai 2022. URL : http://​www​.uni​ver​sa​lis​-edu​.com/​e​n​c​y​c​l​o​p​e​d​i​e​/​c​o​n​s​p​i​r​a​t​i​o​n​n​i​s​me/ ↩︎
  8. Fea­ver, G. (1971). Pop­per and Mar­xism. Stu­dies in Com­pa­ra­tive Com­mu­nism, 4(3/4), 3 – 24. ↩︎
  9. Tausk, op. cit. ↩︎
  10. Tausk, op. cit. ↩︎
  11. Pour la réfé­rence dans le Vidal élec­tro­nique, voir : https://​www​.vidal​.fr/​m​e​d​i​c​a​m​e​n​t​s​/​s​u​b​s​t​a​n​c​e​s​/​a​r​i​p​i​p​r​a​z​o​l​e​-​2​2​6​2​2​.​h​tml ↩︎
  12. IUT‑T. (Juin 2012). « Pré­sen­ta­tion géné­rale de l’Internet des objets ». https://www.itu.int/rec/dologin_pub.asp?lang=e&id=T‑REC‑Y.2060 – 201206‑I!!PDF‑F&type=items ↩︎
  13. Voir Fou­cault, M. (1993). Sur­veiller et punir : Nais­sance de la pri­son. Gal­li­mard. Cf. aus­si : https://​www​.radio​france​.fr/​f​r​a​n​c​e​c​u​l​t​u​r​e​/​l​a​-​s​o​c​i​e​t​e​-​d​e​-​s​u​r​v​e​i​l​l​a​n​c​e​-​d​e​-​f​o​u​c​a​u​l​t​-​9​7​8​3​509 ↩︎
  14. Voir Fou­cault op. cit.. Pour une cri­tique de la lec­ture de Fou­cault, voir Tus­seau, G. (2004). Sur le pan­op­tisme de Jere­my Ben­tham. Revue Fran­çaise d’Histoire des Idées Poli­tiques, 19(1), 3‑38. ↩︎
  15. Ben­tham J. (1997). Mémoire sur un nou­veau prin­cipe pour construire des mai­sons d’inspection, et nom­mé­ment des mai­sons de force. E. Dumont (éd.), Nantes, Édi­tions Bir­nam. ↩︎
  16. Taïeb, loc.cit.. ↩︎
  17. Voir Fer­rei­ra, A. (2021). The age of sur­veillance capi­ta­lism : The fight for a human future at the new fron­tier of power, by Sho­sha­na Zuboff. Jour­nal of Urban Affairs, 1‑3. https://​doi​.org/​1​0​.​1​0​8​0​/​0​7​3​5​2​1​6​6​.​2​0​2​1​.​1​9​3​9​586 et Zuboff, S. (2019). The Age of Sur­veillance Capi­ta­lism. Pro­file Books. ↩︎
  18. Zuboff S. (8 sep­tembre 2021). “Sur­veillance capi­ta­lism and demo­cra­cy”. Confé­rence au Alexan­der von Hum­boldt Ins­ti­tut für Inter­net und Gesell­schaft à Ber­lin. ↩︎
  19. Voir : Video shows Pfi­zer CEO at Davos in 2018 tal­king about ano­ther company’s pill. (2022, mai 23). AP NEWS. https://​apnews​.com/​a​r​t​i​c​l​e​/​f​a​c​t​-​c​h​e​c​k​-​P​f​i​z​e​r​-​C​E​O​-​D​a​v​o​s​-​2​5​6​3​5​2​1​8​3​903 ↩︎

Bibliographie :

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